Présidentielle en Russie : le Kremlin renforce son “bouclier doré” en ligne pour censurer les dernières voix de l’opposition
En amont de l’élection présidentielle russe, les autorités ont imposé de nouvelles lois pour réguler le “Runet”, l’Internet russe. Reporters sans frontières (RSF) dénonce des mesures répressives inspirées des pratiques chinoises afin de taire les dernières voix dissidentes, et d’empêcher les internautes russes d’accéder à des informations fiables.
Alors qu’une pseudo-élection présidentielle se déroule en Russie, les publicités sur les VPN (ou réseau privé virtuel) et les sites Internet fournissant des informations sur ce moyen de contourner la censure sont interdites et criminalisées dans le cadre d’une nouvelle loi entrée en vigueur le 1er mars 2024.
En effet, des réseaux sociaux occidentaux comme Facebook et des dizaines de milliers de sites Internet ont été censurés par le régime russe sous prétexte de “protéger son espace numérique contre les influences extérieures” depuis l’invasion de l’Ukraine en février 2022, entraînant au grand dam des autorités une augmentation significative de l’utilisation des VPN.
Dans cette volonté de contrôle accru, le régulateur russe des médias, le Roskomnadzor, aurait intensifié ses tests de blocage avec des méthodes directement recommandées par le voisin chinois. Le 27 février par exemple, les citoyens russes ont observé que des sites Internet et applications autorisés en Russie, dont YouTube, WhatsApp, et VKontakte (le Facebook russe), ont été bloqués. Ensuite, plusieurs plateformes officiellement interdites, comme Facebook, Instagram et X ont été inexplicablement accessibles (sans VPN) pendant quelques heures.
Au vu de ces restrictions, le média indépendant russe en exil Meduza alerte sur les risques de coupures Internet pendant les élections, comme dans plusieurs régions qui ont récemment subi des pannes.
“Pour la pseudo-élection présidentielle, le Kremlin renforce ses frontières numériques. La loi criminalisant la promotion des VPN marque une nouvelle étape vers une censure numérique totale, tandis que le Roskomnadzor perfectionne ses outils de blocage pour museler les dernières voix dissidentes. RSF dénonce un risque de basculement vers un Internet contrôlé comme en Chine, avec l’érection éhontée d’une grande muraille autour du “Runet”, l’Internet russe souverain.
La loi au service de la censure virtuelle
La lutte contre les VPN n’est pas le seul cheval de bataille du Roskomnadzor. Le 28 février, la Douma, chambre basse du Parlement russe, a adopté une loi interdisant aux citoyens et entreprises russes de relayer la publicité de sources désignées comme “agents de l’étranger” sur Internet et sur toutes les autres plateformes numériques. Plusieurs journalistes indépendants, parmi les rares encore présents en Russie, ont ainsi annoncé la fermeture de leur chaîne YouTube, à l’image de Redaktsiya d'Alexey Pivovarov (4,11 millions d'abonnés) et de Skazhi Gordeevoy d'Ekaterina Gordeevoy (1,65 million d'abonnés). Une victoire pour le président de la Douma, Viatcheslav Volodine, qui s'est félicité le 5 mars des premiers résultats de cette loi liberticide et des discussions en cours pour interdire les redevances de droits d'auteur aux artistes, musiciens et écrivains considérés comme “agents de l’étranger”.
La censure du Runet s’opère également par des contraintes légales contre les hébergeurs étrangers, soumis à la loi sur “l’atterrissage”, qui impose aux sociétés informatiques étrangères opérant en Russie d’y ouvrir une filiale. Depuis le 1er février, si elles ne se soumettent pas à cette règle, leurs activités sont interdites. Fin janvier, aucun hébergeur étranger n’avait encore entamé les démarches pour légaliser ses activités sur le territoire russe et certains ont tout simplement cessé leurs opérations en Russie. C’est le cas de l’hébergeur allemand Hetzner Online, qui a mis fin à tous les contrats avec ses utilisateurs russes le 31 janvier, y compris le média d’investigation Agentura.ru dont la rédaction est en exil.
Des sites miroirs pour contourner les blocages
Pour contourner la censure du réseau russe par le Kremlin, RSF mobilise les ressources de son opération Collateral Freedom, qui permet de créer très rapidement des sites miroirs pour accéder aux sites d'information bloqués. L'organisation a par exemple débloqué le média d'information russe en exil le plus lu, Meduza, ainsi que les sites en russe des médias publics allemand, Deutsche Welle, et français, Radio France internationale (RFI). Tous les liens des sites miroirs créés dans le cadre de cette opération sont accessibles sur ce lien
Le Kremlin a intensifié la censure depuis l’invasion russe en Ukraine en février 2022, y compris dans les territoires occupés, et la propagation de fausses informations s’est décuplée, renforçant la nécessité de soutenir les journalistes russes indépendants actuellement en exil.