Interdictions de publier en Albanie : les procureurs doivent prendre en compte le droit à l’information

Des procureurs albanais ont interdit aux médias de publier sur des sujets d’intérêt général tels que les attaques contre les institutions d’Etat et le crime organisé. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités d’éviter des mesures disproportionnées et dénonce la menace de peines de prison pour les journalistes.

Si la sécurité d’Etat ou le secret d’instruction sont des raisons légitimes pour restreindre la liberté de la presse, les autorités doivent prendre des mesures proportionnelles pour ne pas entraver arbitrairement ce droit fondamental. Aucun journaliste ne saurait être menacé de peines de prison s’il informe dans le respect de la déontologie de son métier sur des sujets d’intérêt général comme les attaques contre les institutions d’Etat ou le crime organisé. Nous appelons les procureurs et les tribunaux albanais à prendre en compte le droit à l’information.

Pavol Szalai
Responsable du bureau Union européenne - Balkans de RSF

Le bureau du procureur de Tirana a prononcé le 19 septembre dernier une interdiction totale aux médias de publier des données issues d’une importante fuite de documents “sensibles” à la suite d’une cyberattaque perpétrée probablement par des hackers iraniens. Ces documents contenaient, entre autres, des informations sur un projet présumé d’attentat contre le Premier ministre kosovar Albin Kurti ou encore des soupçons d’une attaque terroriste visant l’Ambassade d’Albanie en Grèce. Interrogé par RSF, le bureau du procureur de Tirana affirme que l’interdiction vise à protéger les données personnelles, les informations confidentielles sur la sécurité d’Etat et le secret d’instruction, et “n’a pas vocation à entraver les activités des médias”. Or, le bureau du procureur n’a pas précisé la durée de cette interdiction qui, par ailleurs, ne fait pas de distinction entre des documents de différentes natures. Il est néanmoins certain que les journalistes qui la violent s’exposent à des poursuites pénales.

Cette interdiction intervient à la suite d’une autre mesure du bureau du procureur spécial anti-corruption du 14 juin dernier visant Elton Qyno, un journaliste d’investigation de la chaîne Ora News enquêtant sur le crime organisé en Albanie. En s’appuyant sur le dossier d’enquête et ses propres sources, le journaliste affirme dans ses articles que de hauts fonctionnaires et personnalités politiques ont été impliquées dans les affaires d’un homme soupçonné d’activités mafieuses, Nurdin Dumani. Contacté par RSF, le procureur spécial anti-corruption soutient que “l’objectif (de l’interdiction) n’est pas d'emprisonner le journaliste, mais de préserver le secret d’instruction ainsi que d’empêcher des événements sérieux qui peuvent être causés par la publication des déclarations (de collaborateurs de justice dans le cadre des poursuites pénales) et par des représailles de la part des groupes rivaux.” Par conséquent, Elton Qyno qui a été contraint d’arrêter ses publications sur l’affaire Dumani jusqu’à la fin de l’enquête pénale conteste la décision de procureur devant le Tribunal spécial d’Albanie. Les peines encourues par les journalistes qui outrepasseraient cette interdiction sont extrêmement élevées, selon le Code pénal albanais : jusqu’à six ans de prison.

À la dernière place dans les Balkans occidentaux, l’Albanie occupe la 103e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.

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