Russie : deux ans de trop derrière les barreaux pour Ivan Safronov, figure du journalisme assimilée à un “traître”

Reconnu comme l’un des meilleurs journalistes de Russie, à l’origine d’articles retentissants, Ivan Safronov croupit en prison depuis exactement deux ans aujourd’hui. Ses avocats, eux-mêmes devenus la cible des services secrets, sont empêchés de le défendre. Reporters sans frontières (RSF) réclame la libération du journaliste, jugé depuis le 5 mars dans un procès inique.

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C’est lui qui révéla la vente de chasseurs Soukhoï SU-35 à l’Égypte en mars 2019, provoquant un scandale diplomatique entre la Russie et les États-Unis. Lui encore qui, le premier, pointa la cause de l’accident du sous-marin top secret Locharik, qui a coûté la vie à quatorze marins. À 32 ans, le journaliste russe Ivan Safronov “fête” aujourd’hui ses deux ans derrière les barreaux. Accusé de haute trahison, il risque vingt ans de prison. 

“Traîné dans la boue comme un ‘traître’ à la nation, le journaliste Ivan Safronov est puni pour avoir refusé de dévoiler ses sources, s’insurge la responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Aucune preuve publique, un droit à la défense grossièrement bafoué, des accusations ridicules… Son cas illustre la soumission totale au pouvoir politique de la justice russe, qui abandonne sans pudeur tout vernis légal. Cet acharnement judiciaire doit cesser et Ivan Safronov être enfin libéré.”

Le 7 juillet 2020, Ivan Safronov est arrêté à Moscou par le FSB, les services de renseignement intérieurs, alors qu’il se rend à son bureau. Spécialiste parmi les plus respectés du complexe militaro-industriel, il travaille alors comme conseiller presse du directeur de l’agence spatiale Roscosmos. Ce journaliste de renom a quitté la rédaction du quotidien économique Vedomosti quatre mois plus tôt pour protester contre les ingérences de ses nouveaux propriétaires. Il avait intégré ce journal après une dizaine d’années passées chez son concurrent Kommersant, d’où il avait été licencié, suite à la publication  d’un article sur la présidente du Sénat, réputée proche du président Vladimir Poutine, pour avoir refusé de dévoiler ses sources.

Ce sont justement ses précieuses sources qui semblent intéresser les enquêteurs. Six jours après son arrestation, ils proposent un marché à Ivan Safronov : révéler les sources de certaines de ses investigations et admettre sa culpabilité, contre une réduction de peine à dix ans. Rendue publique par l’un des avocats, cette proposition contredit la version du Kremlin - avancée par le porte-parole du président Dmitri Peskov - selon laquelle sa détention n’aurait aucun lien avec ses activités journalistiques.

Ivan Safronov est accusé d’avoir communiqué des informations secrètes, d’une part à un ami tchèque qui travaillerait pour les services spéciaux de son pays, et d’autre part, contre rémunération (248 dollars), à un politologue qui les aurait transmises aux services de renseignement allemands. 

Les détails de l’affaire sont classifiés, le procès se tient à huis clos et ses avocats sont soumis à une clause de confidentialité. Sur décision du tribunal de Lefortovo à Moscou, ceux-ci n’ont eu que deux semaines entre fin janvier et début février 2022 pour se familiariser avec le dossier d’instruction… de 10 000 pages. Sans possibilité de prendre de photos ni de notes de ces pièces consultables uniquement au sein d’un bâtiment du FSB. Cet énorme dossier prouve par ailleurs que le Service des renseignements extérieurs (SVR) surveille depuis longtemps les communications et l’ordinateur personnel du journaliste. 

Les violations des droits de la défense sont également flagrantes dans le procès en cours. Lors d’une audience en juin, Ivan Safronov ne peut déposer des requêtes auprès du tribunal car les documents préparés par ses avocats lui ont été confisqués au centre de détention provisoire, avant même qu’il ne puisse les lire. Celles-ci sont d’ailleurs systématiquement refusées. Les obstructions s’accumulent les avocats n’ont pas accès, entre autres, aux procès-verbaux des audiences, ou encore ont l’interdiction d’utiliser un ordinateur portable au tribunal, un droit pourtant accordé aux procureurs. 

L’un d’eux, d’ailleurs, ne pourra plus assurer la défense d’Ivan Safronov : le 28 juin, Dmitri Talantov est arrêté pour “discrédit de l’armée russe”. Avant lui, ses confrères Evgueni Smirnov et Ivan Pavlov ont été contraints de quitter la Russie, après des poursuites engagées contre eux par le FSB, en lien avec l’affaire. 

Au-delà de la prolongation illégale de sa détention provisoire, qui a duré plus d’un an et demi, le journaliste subit lui aussi des pressions en prison, où il est empêché d’appeler et de rencontrer ses proches.

Le courage d’Ivan Safronov lui est sans doute inspiré de celui de son père, qui portait le même nom. Ce célèbre journaliste de Kommersant, spécialisé lui aussi dans les questions de défense, est mort à 51 ans dans des conditions douteuses en 2007, alors qu’il enquêtait sur des ventes d’armes russes au Proche-Orient.

La Russie occupe la 155e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse 2022, publié par RSF.

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