Malaisie : le site Malaysiakini condamné pour outrage à la cour pour de simples commentaires de lecteurs
Le portail Malaysiakini, l’un des principaux sites d’investigation de la Malaisie, a été condamné à une amende record pour des commentaires postés au bas d’un de ses articles, à la suite de quoi il est désormais visé par une information judiciaire ouverte pour sédition. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une sanction qui risque de renforcer l’autocensure dans les médias et appelle le parquet malaisien à abandonner les charges pour sédition portées contre le site.
Cent mille euros d’amende à cause de cinq petits commentaires. La Cour fédérale de Malaisie a reconnu coupable “d’outrage à la cour”, vendredi 19 février, le site d’information Malaysiakini, réputé pour ses enquêtes sur la corruption, et ce en raison de commentaires critiques du système judiciaire publiés sur la page d’un de ses articles, en juillet dernier. Le rédacteur en chef, Steven Gan, également visé par la plainte du procureur général Idrus Harun, a pour sa part été relaxé par le tribunal.
Dans son verdict, la juge principale Rohana Yusuf a ignoré le fait que les modérateurs de Malaysiakini ont aussitôt retiré les commentaires litigieux dès qu’ils en ont été informés par la police. Elle considère, contre toute logique, que ces commentaires “répréhensibles” et “fallacieux” n’avaient pas été modérés correctement par le site, qui écope d’une amende exceptionnellement élevée : 500 000 ringgits (près de 100 000 euros), ce qui représente plus de deux fois la somme initialement réclamée par le procureur.
A la suite de cette décision, le parquet a décidé ce matin, lundi 22 février, d’ouvrir une information judiciaire contre le rédacteur en chef de Malaysiakini pour sédition. Ce chef d'accusation prévoit une peine pouvant aller jusqu’à trois ans de réclusion criminelle.
Climat d’autocensure
“RSF condamne ce jugement aberrant et complètement disproportionné par rapport aux faits qui sont reprochés à Malaysiakini, et demande au parquet de refermer immédiatement l’enquête abusivement ouverte pour sédition, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Cette condamnation aura des conséquences considérables sur la façon d’interagir avec leurs lecteurs des médias indépendants, ce qui, à terme, affectera nécessairement la qualité du débat public en Malaisie.
“Cela risque de renforcer le climat d’autocensure qui s’est instauré dans les médias depuis l’arrivée au pouvoir du Premier ministre Muhyiddin Yassin, il y a un an. Nous appelons le gouvernement à prendre de véritables engagements en faveur de la liberté de la presse.”
A la sortie de l’audience, Steven Gan, a réagi auprès des journalistes présents : “Cette lourde amende prononcée contre nous est une tentative non seulement de nous faire taire, mais aussi de nous obliger à fermer.”
A l’issue du procès, une vague de soutien s’est manifestée auprès de Malaysiakini qui a récolté, en moins de six heures, suffisamment de fonds pour payer son amende à l’occasion d’une campagne de crowdfunding.
Suite à la chute du Premier ministre Najib Razak en 2018, la Malaisie a progressé de 44 places en deux ans dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.
Malheureusement, depuis l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle coalition menée par Muhyiddin Yassin en mars 2020, une multiplication des atteintes à la liberté de la presse risque de retourner cette tendance en 2021. Le pays occupe pour l’instant la 101e place sur 180 pays.