Reporters sans frontières soutien le Gerakan Media Marah (Geramm, mouvement des médias en colère), coalition informelle de professionnels de l’information, et le Centre for Independent Journalism (CIJ) dans leur condamnation de l’annonce du renforcement de la loi sur les secrets officiels de 1972 (Official Secrets Act 1972). L’amendement, que Geramm qualifie d’acte d’”intimidation flagrante”, vise à punir les lanceurs d’alerte et le recours à des sources anonymes par les journalistes. Il menace de poursuites judiciaires les reporters qui refuseraient de révéler la provenance de leurs informations. Le projet de loi s’accompagne d’un durcissement sans précédent des peines, et prévoit l'emprisonnement à perpétuité ainsi que dix coups de rotin. La loi punit actuellement de une à sept années de prison la divulgation de secrets officiels.
Dans un article du quotidien local en chinois
Sin Chew Daily, le ministre de la Justice a expliqué que ce changement résultait d’un accroissement important de fuites de “secrets” par des officiels du gouvernement. Anticipant la réaction des journalistes, Mohamed Apandi a déclaré que ceux qui brandiraient l’éthique journalistique afin de protéger leur source pourraient être considérés comme des collaborateurs de saboteurs potentiels, et que leurs actions pourraient mettre en danger la sécurité nationale”.
“
Les représailles à l’encontre des journalistes d’investigation, l’accroissement de la censure au cours des derniers mois, le récent projet de loi visant à réprimer les lanceurs d’alerte et les journalistes, indiquent clairement que le pouvoir a pris le chemin de l’autoritarisme, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières. L
e gouvernement doit se rendre compte que ce sont la politique de censure et de répression de l’information menée par Najib Razak, et ses conséquences politiques et économiques, qui portent atteinte à l’intérêt général, et non les révélations de faits de corruption.”
De la corruption à la traque des lanceurs d’alerte, en passant par la censure
Ces huit derniers mois ont été marqués par de multiples révélations de scandales politico-financiers impliquant plusieurs personnalités du secteur privé, ainsi que des officiels du pouvoir, dont le Premier Ministre malaisien Najib Razak. En juillet dernier, le
Wall Street Journal révèle les détails d’une enquête judiciaire sur le fonds d’investissement 1Malaysia Development Berhad (1MDB) et sur un détournement d’argent impliquant directement le chef du gouvernement. Le 20 juillet 2015, le site d’information en langue anglaise basé à Londres
Sarawak Report est bloqué par la Malaysian Communications and Multimedia Commission (MCMC), l’organe malaisien de régulation des médias, quelques jours après avoir révélé le contenu d’emails confidentiels, obtenus de source anonyme, et confirmant les faits de corruption. Le 4 août 2015, les autorités lancent même un
mandat d’arrêt contre de la fondatrice et rédactrice en chef de
Sarawak Report Clare Rewcastle-Brown pour “activité portant atteinte à la démocratie”. Le 30 juillet, ce média en ligne avait
publié des documents secrets
démontrant que le Ministre de la Justice avait été limogé parce qu’il s'apprêtait à inculper le Premier Ministre pour corruption. Le 22 janvier dernier, le site d’information Medium.com, qui relayait les articles de Sarawak Report et permettait ainsi aux internautes de contourner le blocage administratif de Sarawak Report, est à son tour bloqué par certains opérateurs Internet.
Les médias malaisiens qui ont eu le malheur de relater le scandale ont également subit l’ire des autorités. L’hebdomadaire The Edge Weekly et le quotidien The Edge Financial Daily, qui avaient relayé l’avancée des investigations menées par le procureur général, ont quant à eux vu leurs publications suspendues dès le 27 juillet pour trois mois sur décision du ministère de l’Intérieur, qui qualifie leurs articles de menaces pour “l’ordre public” et les “intérêts nationaux”.
Le 27 janvier, quatre blogs d’information
syedsoutsidethebox,
tabunginsider ,
fotopages , et
Din Turtle ont été bloqués par l’autorité des médias. Si leurs auteurs (lanceur d’alerte dans le cas de tabunginsider, “Din Turtle” est un détracteur de renom du Premier ministre) ou les contenus diffèrent, ces sites partagent le point commun de déranger le pouvoir au plus haut point.
La Malaisie occupe la 147e place sur 180 pays du
Classement mondial pour la liberté de la presse 2015 établi par Reporters sans frontières.