Iran : RSF dresse le bilan d’une violente répression contre les femmes journalistes depuis la mort de Mahsa Amini
Dans une liste mise à jour en temps réel, Reporters sans frontières dévoile, à l’occasion du deuxième anniversaire du mouvement de protestation “Femme, vie, liberté” déclenché après la mort de Mahsa Amini, le bilan de la répression visant notamment les femmes journalistes du pays. Détenues ou poursuivies arbitrairement, elles payent de leur liberté leur courage de nous informer.
Sans le travail d’Elaheh Mohammadi du quotidien Han Mihan, de Niloofar Hamedi de Shargh Daily et de leurs consoeurs, le monde n'aurait peut-être jamais eu connaissance de la mort de la jeune étudiante kurde Mahsa Amini, le 16 septembre 2022, trois jours après son arrestation pour “non port du voile”.
Sans la lettre de la journaliste Vida Rabbani, écrite depuis la prison de Qarshak, le public aurait pu croire à la déclaration du défunt ministre des Affaires étrangères Hossein Amir Abdollahian selon laquelle “il n'y avait pas de journalistes emprisonnés en Iran”. “Je suis journaliste, et je suis en prison”, avait répondu Vida Rabbani. Et sans le travail courageux de Saeedeh Shafiei, de Nasim Sultan Beigi, de Ghazaleh Zareim et de leurs consœurs, les informations et les images du mouvement de protestation “Femme, vie, Liberté”, qui secoue l’Iran depuis 2022 ne seraient pas parvenues aux Iraniens, ni au reste du monde. Quant à Narges Mohammadi, arrêtée à de multiples reprises pour son travail en tant que journaliste, écrivaine et défenseure des droits humains, elle ne cesse de témoigner de la répression du régime qui se poursuit contre les femmes jusqu’en prison.
À l'occasion du deuxième anniversaire du mouvement “Femme, vie, liberté”, qui a défié le régime autoritaire, et alors que plus de 100 journalistes ont été enfermés ou poursuit en justice depuis septembre 2022, RSF dresse le portrait de celles qui sont toujours prisonnières du système judiciaire répressif iranien : une institution directement sous l'influence du Guide suprême l'ayatollah Khamenei.
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Vida Rabbani, Téhéran. Journaliste pour l'hebdomadaire réformiste Sada Weekly et activiste
Charges invoquées : “insulte aux croyances sacrées”, “rassemblement et collusion dans l'intention de commettre un crime contre la sécurité nationale,” “propagande contre le régime” et “perturbation de l'ordre public”
Emprisonnée depuis : le 24 septembre 2022
Situation judiciaire : En décembre 2022, après avoir couvert le mouvement “Femme, vie, liberté" Vida Rabbani a été condamnée à une peine de six ans pour "insulte aux croyances sacrées" et “propagande contre l’État”. Si elle a été graciée par le Guide suprême en 2023 pour celle-ci, elle purge aujourd'hui une peine de cinq ans de prison, dont trois ans ferme pour une autre condamnation qui date d’août 2022 pour "insulte aux croyances sacrées", "rassemblement et collusion dans l'intention de commettre un crime contre la sécurité nationale", "propagande contre le régime", et "perturbation de l'ordre public". Cela pour sa couverture d’une manifestation contre le corps des Gardiens de la révolution islamique (CGRI) accusé d’avoir abattu le vol PS752 en janvier 2020. Il lui est, en outre, interdit de travailler, d’utiliser les réseaux sociaux et de participer à des rassemblements et à des activités politiques pendant 5 ans.
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Saba Azarpeik, Téhéran. Journaliste indépendante, ancienne correspondante pour le quotidien Etemad Daily
Charges invoquées : “diffusion de mensonges”, “diffamation”, “atteinte à la réputation” et “partage de menaces”.
Emprisonnée depuis : le 9 juin 2024
Situation judiciaire : sur la base de plusieurs plaintes la cour d'appel de la province de Téhéran a condamné la journaliste, en mai 2024, à trois ans de prison, dont deux ans fermes. Elle a également l'interdiction d'utiliser les réseaux sociaux pendant deux ans, et est tenue de payer une amende et de s’excuser publiquement auprès de ses plaignants.
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Saeedeh Shafiei. Journaliste indépendante
Charges invoquées : “Rassemblement illégal”, “collusion contre l'État”, “Propagande contre le système”
Emprisonnée depuis : le 31 juillet 2023. Elle a bénéficié d’une permission de sortie pour raisons médicales le 2 mars 2024, avant d’être de nouveau incarcérée le 6 septembre 2024.
Situation judiciaire : elle a été condamnée, le 30 juillet 2023, à trois ans et sept mois d'emprisonnement pour "rassemblement et conspiration", réduits à trois ans, six mois et un jour et pour huit mois d'emprisonnement pour "propagande", réduit à 7 mois et 16 jours. La journaliste devra purger uniquement la peine la plus longue, soit trois ans et six mois. Elle est également interdite de de voyager pendant deux ans et e d'adhérer à tout groupe ou organisation.
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Parisa Salehi. Journaliste économique pour Donyaye Eghtesad
Charges invoquées : “propagande contre la république islamique” selon l’article 500 du Code pénal islamique
Emprisonnée depuis : le 28 avril 2024 à la prison de Kachouei à Karaj
Situation judiciaire : elle a été condamnée en février 2024 à un an de prison réduite, en appel, à cinq mois et deux ans d’interdiction de voyage et de communication en ligne.
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Nasrin Hasani. Rédactrice en chef de l’hebdomadaire Seyahat Shargh
Charges invoquées : "perturbation de l'opinion publique par la diffusion de mensonges sur les médias sociaux", et “apparition en public sans le hijab islamique approprié”
Emprisonnée depuis : le 4 janvier 2024. Elle a bénéficié d'une mise en liberté provisoire pour raisons médicales en mars avant d'être réincarcérée le 28 juin 2024 à la prison de Bojnord.
Situation judiciaire : elle a été condamnée le 5 novembre 2023 à sept mois de prison pour “diffusion de fausses informations sur les réseaux sociaux” et à une amende d'un million de tomans iranien (environ 20 euros) pour être apparue en public sans le hijab. Le 23 janvier, la cour d’appel du Khorassan, région au nord-est du pays, a confirmé une peine antérieure d’un an de prison pour “propagande contre la république islamique”.
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Nasim Soltan Beigi. Journaliste Indépendante
Charges invoquées : “Propagande contre le régime”, “rassemblement et collusion contre la sécurité du pays”
Emprisonnés depuis : le 21 novembre 2023
Situation judiciaire : elle a été condamnée le 20 juillet 2023 à huit mois de prison pour “propagande contre le régime” et trois ans et sept mois de prison pour “rassemblement et collusion contre la sécurité du pays”. Elle doit purger la peine la plus longue, à savoir trois ans et sept mois.
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Niloofar Hamedi. Correspondante pour Shargh Daily, une des premières journalistes à couvrir la mort de Mahsa Amini
Charges invoquées : "Diffusion de la propagande contre l’État”, “crimes contre la sécurité nationale” , "collaboration avec un pays étranger"
Emprisonnée : le 22 septembre 2022, Niloofar Hamedi a été libérée sous caution le 15 janvier 2024. Le 12 août, la décision, en appel, la condamne à 5 ans de prison. Elle est à ce jour libre, dans l’attente de son ordre d’incarcération.
Statut judiciaire : le 12 août, la cour d'appel a exonéré Niloofar Hamedi de l'accusation de "collaboration avec un pays étranger". Elle a toutefois maintenu les deux autres chefs d'accusation. La cour n'a toujours pas donné l’ordre d’incarcération de Niloofar Hamedi.
Lire le profil de RSF sur Niloofar Hamedi
- Elaheh Mohammadi. Correspondante pour Han Mihan, la seule journaliste à avoir couvert l’enterrement de Mahsa Amini
Charges invoquées : "Diffusion de la propagande contre l’État”, “crimes contre la sécurité nationale”
Emprisonnée : le 29 septembre 2022, avant d’être libérée sous caution le 15 janvier 2024, Le Cour d’appel l’a condamné, le 12 août 2024, à 5 ans de prison, sans ordre d’incarcération à ce jour.
Statut judiciaire : le 12 août, la cour d'appel a exonéré Elaheh Mohammadi de l'accusation de "collaboration avec un pays étranger". Elle a maintenu les deux autres chefs d'accusation. La cour n'a toujours pas donné l’ordre de réincarcération de Elaheh Mohammadi.
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Narges Mohammadi. Journaliste, écrivaine et défenseur de droits humains, lauréate du prix nobel de la paix en 2023
Charges invoquées : “Activités de propagande contre l'État”, “action contre la sécurité nationale et collusion contre la sécurité de l'État.”
Emprisonnée depuis : novembre 2021, date de début de sa dernière détention. Mais au cours de sa vie, Narges Mohammadi a été arrêtée 13 fois, condamnée cinq fois et a reçu des peines d'emprisonnement totalisant plus de 35 ans. À ce jour, elle a passé plus de dix ans en prison, dont 135 jours au total à l'isolement. La dégradation récente de son état de santé en prison rend sa libération pour raisons médicales plus urgente que jamais.
Statut judiciaire : elle a été condamnée en mai 2021, avant d’être condamnée pour de nouveaux chefs d’accusation en janvier 2022, en octobre 2022, en janvier 2024, et en juin 2024. Elle a été condamnée au total à 14 ans et deux mois de prison, ainsi qu'à 154 coups de fouet. Des accusations et des peines supplémentaires continuent d'être ajoutées en représailles de sa persistance à s'exprimer depuis l'intérieur de la prison, notamment pour dénoncer les violences sexuelles et d'autres violations des droits des femmes détenues. Au cours de sa détention, Narges Mohammadi s'est vu refuser l'accès aux soins de santé, aux permissions médicales et aux contacts avec sa famille, ce qui l'a amenée à entamer une grève de la faim à trois reprises pour réclamer ces droits pour elle-même et pour d'autres prisonniers. Elle a également été soumise à l'isolement, au harcèlement sexuel et à d'autres traitements abusifs en détention. Elle n'a pas le droit de contacter sa famille par téléphone depuis novembre 2023. Malgré cette oppression, Narges Mohammadi continue de se battre pour sa liberté et celle de tous, derrière les murs de la prison d'Evin.