RSF dénonce la liste noire mise en place par la junte birmane pour traquer les journalistes
Depuis début avril, la persécution des journalistes a pris un nouveau tournant en Birmanie avec la multiplication des arrestations arbitraires et la publication de listes de journalistes recherchés par les autorités. Reporters sans frontières (RSF) dénonce la tentative des militaires de prendre le contrôle total de l’information et appelle la communauté internationale à réagir.
Vingt noms et un titre : “Ceux qui diffusent des informations pour ébranler la stabilité de l’État”. Alors que les manifestations contre le putsch du 1er février se poursuivent en Birmanie, l’armée a décidé de franchir un nouveau cap. Depuis le 4 avril, elle diffuse en effet, chaque jour, au journal télévisé et dans les médias papiers, le nom de personnalités recherchées pour avoir diffusé des informations sur le mouvement démocratique qui secoue le pays ou l’avoir soutenu publiquement. Ces personnes font, dès lors, l'objet d’un mandat d’arrêt et risquent trois ans de prison sur la base de l’article 505 (a) du Code Pénal qui punit la diffusion d’informations contrevenant aux intérêts de l’armée.
Au moins 19 journalistes figurent sur cette liste. Parmi eux, le célèbre reporter indépendant Mratt Kyaw Thu, qui a témoigné à RSF des menaces qui pèsent sur les journalistes depuis le coup d’État, l’éditorialiste de Frontier Myanmar et VOA, Sithu Aung Myint, ou encore le présentateur de la chaîne DVB Ye Wint Thu. Samedi 17 avril, deux nouveaux noms sont venus s’ajouter : le journaliste pour Reuters, Soe Zaya Tun, et le reporter indépendant Lumin Thuang Tun. Trois jours plus tôt, le journaliste de Democratic Voice of Burma (DVB), Nay Zaw Naing, et le reporter indépendant Htoo Kyaw Win avaient eux aussi été mis sur la liste. Leurs comptes Facebook, photos de profils et le lieu où ils habitent ont ainsi été dévoilés par les autorités.
La chaîne de télévision d’Etat MRTV diffuse tous les soirs à 20h une nouvelle liste de personnes recherchées par les autorités pour avoir diffusé des informations menaçant la stabilité de l’Etat (photo : Detained Journalists Information Myanmar - Facebook)
À leurs côtés se trouvent d’autres célébrités souvent issues du monde du cinéma, de la chanson ou qui se sont fait connaître sur les réseaux sociaux. Ils risquent à tout moment d’être arrêtés par la police et sont contraints de se cacher ou de quitter le pays. Le rédacteur en chef du Myanmar Post Zin Thaw Naing, recherché par l’armée, n’y a pour sa part pas échappé, son arrestation a eu lieu le 5 avril dernier.
Arrestations arbitraires
“Après s’en être pris aux journalistes couvrant les manifestations, la junte militaire passe maintenant à l’étape supérieure et arrête sans vergogne toute personne appartenant au monde des médias et tous ceux qui osent contredire la propagande qu’elle essaie d’imposer à sa population, dénonce la porte-parole de RSF, Pauline Adès-Mével. Il est grand temps que la communauté internationale réagisse : les autorités militaires doivent cesser de violer la liberté de la presse pour cacher au monde leurs pires exactions contre les civils.”
Dernier journaliste interpellé : le reporter japonais indépendant Yuki Kitazumi a été arrêté hier, dimanche 18 avril, puis transféré d'un poste de police à la tristement célèbre prison d'Insein, notamment connue pour enfermer les acteurs des médias.
Même les anciens journalistes sont désormais persécutés. Bien qu’ils aient tous deux quitté leurs fonctions suite au coup d’État du 1er février, la co-fondatrice de l’agence de presse Mizzima, Thin Thin Aung, et un de ses anciens collaborateurs, James Phu Thoure, ont été arrêtés et placés en détention, jeudi 8 avril, alors qu’aucun objet d’inculpation n’est porté à leur encontre.
Le soir du 14 avril, des policiers en civil se sont rendus au domicile de Myo Myat Myat Pan, une ancienne journaliste du Myitkyina News Journal qui avait quitté ce média local début mars, et ont procédé à son arrestation. Elle fait désormais partie des 35 journalistes en détention sur un total de 65 journalistes arrêtés depuis le 1er février, selon le décompte de Reporting Asean.
Au-delà des journalistes, toute personne qui participe à la diffusion d’informations déplaisant aux autorités militaires est menacée d’arrestation arbitraire ou de violences. Le 2 avril, onze personnes ont ainsi été interpellées sur un marché de Rangoun pour avoir répondu aux questions d’une équipe de CNN, pourtant exceptionnellement autorisée par l’armée à couvrir la situation dans le pays. Après trois jours de détention, seules huit d’entre elles ont été libérées, les autres seraient toujours en détention.
Communications coupées
Depuis la prise de pouvoir du général Min Aung Hlaing, les autorités militaires ont progressivement mis la main sur tous les moyens de communication et d’information en Birmanie. Les chaînes de télévision et les radios d’information privées ont été suspendues. Seuls les contenus de divertissement peuvent être diffusés. Par ailleurs, depuis le début du mois d’avril, les antennes satellites qui permettent de capter les chaînes d’information étrangères sont interdites dans certaines régions.
L’accès à Internet n’est désormais possible que via une connexion filaire, interrompue tous les jours de 1h du matin à 9h, posant de lourds problèmes de communication et d’accès à l’information dans les zones les plus reculées du pays, en particulier pour les journalistes qui y travaillent.
Le Myanmar occupe la 139e place sur 180 du Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.