Libération de Danny Fenster en Birmanie : la semaine qui a révélé la junte sous son jour le plus abject
Alors que le journaliste américain Danny Fenster, qui a passé six mois dans les geôles birmanes, vient de poser le pied sur le sol états-unien, Reporters sans frontières (RSF) retrace le cours des événements qui ont abouti à sa libération : depuis une semaine, les généraux birmans ont fait montre d’un arbitraire absolument abject en utilisant le journaliste comme une vulgaire monnaie d'échange.
“On se dit que ce sera sans fin.” C’est par ce message sibyllin que le journaliste Danny Fenster a commenté, ce mardi 16 novembre, ses 176 jours de détention dans une prison birmane, alors qu’il se trouvait sur le tarmac de l’aéroport de Doha, au Qatar, en attente de son vol vers New York.
La semaine qui vient de s’écouler a été marquée par de nombreux rebondissements quant au sort du journaliste états-unien, qui a pris en charge, il y a un an et demi, la rédaction en chef du magazine Frontier Myanmar, après avoir collaboré plusieurs années au portail Myanmar Now.
Entre son arrestation parfaitement arbitraire, l’adjonction de charges criminelles totalement fantaisiste, et la parodie de justice qu’il a dû subir, Danny Fenster a été considéré comme un simple jouet dans les mains des généraux birmans. La situation qu’il a traversée ces derniers jours révèle au grand jour les manipulations de l’Etat de droit auxquelles s’adonne sans vergogne l’état-major militaire qui a pris le pouvoir par la violence en février dernier.
“En tant que journaliste étranger, Danny Fenster a clairement été utilisé comme monnaie d'échange durant les négociations secrètes que les dirigeants de la junte entretiennent avec leurs interlocuteurs étrangers, déclare le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard.
“Forts de leur mépris abyssal pour la liberté de la presse et l’Etat de droit, les généraux ont voulu faire pencher la balance en leur faveur en accusant Danny Fenster des pires crimes, histoire d’obtenir davantage de contrepartie en échange de sa libération. A ce titre, le commandant en chef Min Aung Hlaing a poussé les préceptes de la politique machiavélienne à leur paroxysme, au point de se révéler comme un ‘despote en chef’ aux pratiques les plus abjectes.”
Retour sur une semaine de rebondissements
- 3 novembre
Alors qu’il croupit depuis plus de cinq mois dans la sinistre prison d'Insein, en banlieue de Rangoun, Danny Fenster se voit soudain visé par une accusation d’immigration illégale, selon les termes de l’article 13.1 de la loi birmane sur l’immigration, qui punit l’entrée illégale en Birmanie ou le séjour hors-visa d’un ressortissant étranger.
Cette accusation est juridiquement pour le moins hasardeuse, puisque c’est justement au moment où il allait quitter le territoire birman, avec un visa en règle, que Danny Fenster a été arrêté avant de s’envoler vers les Etats-Unis. La peine prévoit un maximum de cinq ans de réclusion criminelle.
- 10 novembre
Le parquet militaire de Rangoun décide d’exhumer contre le journaliste américain deux nouveaux chefs d’accusation, pour “sédition” et “terrorisme”, au motif des articles 124.a du code pénal et de l'article 50.a de la loi antiterroriste. Cette dernière disposition prévoit une peine de prison à vie.
Danny Fenster est le seul journaliste à être détenu en vertu de ces lois, traditionnellement utilisées par l’armée pour criminaliser les mouvements autonomistes des minorités ethniques du pays. L’ensemble des autres journalistes maintenus en détention dans les geôles birmanes le sont en vertu de l’article 505.a du code pénal - lequel punit de trois ans de prison la publication ou la diffusion d'informations susceptibles de porter atteinte à l’armée.
- 12 novembre
Deux jours après l’imputation des ces nouvelles charges, un tribunal militaire mis en place au sein de la prison d’Insein juge le journaliste coupable des trois chefs d’accusation précédemment portés contre lui : atteinte aux intérêts de l’armée, violation de la loi sur l’immigration et association illégale.
Cette dernière charge, elle aussi généralement utilisée pour réprimer les mouvements autonomistes, a été rajoutée par le parquet le 4 octobre. Au total, Danny Fenster écope d’une peine cumulée de onze ans de prison, soit le maximum possible selon les textes invoqués.
- 15 novembre
Vers huit heures du matin - heure de Rangoun -, le service de communication de la junte annonce que Danny Fenster devra comparaître le lendemain, mardi 16 novembre, devant un nouveau tribunal pour répondre des charges de “sédition” et de “terrorisme”.
Au même moment, le chef de la junte, le général Min Aung Hlaing, rencontre un ancien ambassadeur des Etats-Unis, Bill Richardson. Ce dernier est arrivé quelques jours plus tôt à Naypyidaw, la capitale administrative, à titre privé, officiellement pour négocier l'acheminement d'une aide humanitaire aux populations birmanes.
Contreparties tenues secrètes
Coup de théâtre en fin de matinée : la junte annonce finalement que Danny Fenster est gracié et sera libéré pour “raisons humanitaires”. Quelques heures plus tard, le journaliste apparaît sur une photo publiée en ligne par Bill Richardson, sur le tarmac de l’aéroport de Naypyidaw. Officiellement expulsé de Birmanie, iI s'apprête à embarquer dans un avion pour Doha, première étape vers l’aéroport JFK de New York, où il va finalement retrouver sa famille aujourd’hui, mardi 16 novembre.
Aucune information n’a transpiré quant aux contreparties accordées aux militaires birmans en échange de la libération du journaliste. La junte a précisé que deux émissaires japonais, Hideo Watanabe et Yohei Sasakawa, ont été impliqués dans les négociations. Le Japon, dont le gouvernement a nié toute implication directe, reste, aujourd’hui encore, l’un des principaux partenaires commerciaux de la Birmanie.
Danny Fenster, qui était le dernier journaliste étranger emprisonné en Birmanie, a subi une détention particulièrement longue. Avant lui, un autre ressortissant états-unien, Nathan Maung, avait passé un peu plus de trois mois derrière les barreaux, avant d’être libéré le 15 juin dernier. Le reporter japonais Yuki Kitazumi a pour sa part été libéré le 14 mai, après moins d’un mois de détention.
Selon le baromètre mis à jour par RSF, 43 journalistes professionnels sont actuellement détenus dans les prisons de Birmanie, ainsi que trois blogueurs.
Le pays se situe actuellement à la 140e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.