Leaders du G20 en Chine, le « droit de garder le silence » ne s’adresse pas à vous !
A l’occasion du sommet du G20 à Hangzhou (sud est de la Chine) les 4 et 5 septembre prochain, Reporters sans frontières (RSF) appelle tous les chefs d’Etat à sortir de leur silence sur le recul de la justice en Chine, qui recourt de plus en plus aux aveux forcés afin de justifier l’emprisonnement des acteurs de l’information et de toutes les voix critiques à l’encontre de Xi Jinping et du Parti communiste chinois (PCC).
Le 21 novembre 2013, la Cour populaire suprême chinoise appelait enfin à la fin de la torture visant à forcer les détenus à passer aux aveux : “l’interrogatoire par la torture afin d’extraire une confession, ainsi que (soumettre les détenus) au froid, à la faim, à déshydratation, à la chaleur extrême, à la fatigue et autres méthodes illégales pour obtenir les confession d’un accusé doivent être éliminés” avait alors annoncé la Cour. Pourtant le “droit de garder le silence” , inscrit dans la loi, n’a jamais été autant bafoué qu’au cours des trois dernières années.
Le 8 mai 2014, deux semaines après son enlèvement par la police, la journaliste Gao Yu est réapparue à la télévision chinoise d’Etat, China Central Television (CCTV), entrain de "confesser ses crimes" à un policier. Ces images, honteuses, constituent la preuve que la Chine continue de recourir à des mauvais traitements pour justifier l’emprisonnement des journalistes indépendants et de toutes les voix que le Parti juge trop critiques à son encontre. Leur diffusion par la chaîne d’information contrôlée par le pouvoir constituent une violation directe et grave du droit à un procès équitable. Lors de son procès qui s’était tenu en novembre 2014, Gao Yu avait révélé avoir en fait cédé sous le poids des menaces de représailles contre son fils.
A quelques jours d’écart, le journaliste citoyen et contributeur du site d’information indépendant Boxun, Xiang Nanfu, alors âgé de 62 ans, apparaissait sur CCTV 13, reconnaissant “avoir calomnié le Parti et le gouvernement”.
En 2015 et 2016, au cours de plusieurs vagues de répression sans précédent, nombre d’éditeurs hongkongais, d’avocats chinois, et de militants des droits de l’homme, y compris étrangers, ont été arrêtés par les autorités et contraints de passer aux aveux. Tous ont subi des pressions, parfois physiques, ou ont vu leurs proches menacés de représailles. Dans la grande majorité des cas, la diffusion télévisée de ces aveux, souvent accompagnée d’une dépêche de l’agence de presse Xinhua, fait partie d’une stratégie de discrédit à l’encontre des acteurs libres de l’information. Ainsi en va-t-il de la diffusion d’une vidéo par CCTV, le 17 janvier 2016, des aveux de Gui Minhai, propriétaire d’une maison d'édition connue pour ses essais critiques à l’encontre du Parti communiste chinois, ou encore de l’employé de l’ONG Chinese Urgent Action, Peter Dahlin. Le même jour, une dépêche de l’agence de presse officielle Xinhua relatant ses “aveux” est publiée en ligne.
“Pourquoi, lorsqu’on est accusé en Chine, est-on sévèrement puni si l’on se tait ? Parce que les autorités savent que la censure de la critique et de l’information indépendante ne suffisent plus pour asseoir leur contrôle total de l’information”, déclare Benjamin Ismaïl, responsable du bureau Asie-Pacifique de Reporters sans frontières.
“Les aveux forcés sont l’un des éléments importants de la stratégie de propagande de Pékin, qui cherche à imposer à sa population et au reste du monde sa vision mensongère de la réalité. Et le silence de la communauté internationale vient la renforcer. En se taisant sur les violations flagrantes du droit à un procès équitable que sont les diffusions d’aveux forcés, la communauté internationale entérine la pratique d’un ‘Etat (totalitaire) par le droit’ instaurée par le Partie communiste à la place d’un véritable ‘Etat de droit’. D’autres procès iniques, comme celui de Gao Yu, continueront de se tenir. Par leur silence sur la responsabilité des médias étatiques chinois, les chefs d’Etat du G20 pratiquent un deux poids deux mesures inacceptable. En restant silencieux sur la propagande produite par Pékin, ils sabotent le travail de tous les défenseurs des droits de l’homme et de la liberté de l’information, et participent à la désinformation institutionnelle de la population chinoise.”
Depuis plus de deux ans, Reporters sans frontières demande à l’Union européenne de prendre des sanctions contre la chaîne de télévision CCTV et ses responsables. Cette résolution serait cohérente avec une décision, prise en mars 2013 (2013/124/PESC) par le Conseil de l’Union européenne, qui avait alors jugé certains officiels iraniens - dont le directeur exécutif et le directeur de l’information de Press TV - coupables d’atteinte au droit à un procès équitable et de complicité de torture, dans la mesure où des violences sont souvent utilisées pour faire “avouer” les prisonniers. Les diffusions des aveux forcés auxquelles le public chinois a pu assister ont été faites dans des conditions similaire à celles mises en cause par le Conseil de l’Union européenne.
“RSF appelle à nouveau à des sanctions à l’encontre des responsables politiques et des médias d’Etat impliqués dans ce système de propagande qui, en plus de viser à discréditer un par un tous les défenseurs des droits et les voix dissidentes et critiques à l’encontre du régime, participe d’un système où des violences psychologiques et physiques sont employées de manière quasi systématiques et constituent un déni flagrant de justice pour ceux qui y sont soumis et pour leurs proches”, ajoute Benjamin Ismaïl.
La Chine, plus grande prison du monde pour les journalistes et les blogueurs, avec plus de cent d’entre eux derrière les barreaux, occupe la 176e place sur 180 pays dans le Classement annuel de la liberté de la presse 2016 établi par Reporters sans frontières.