Guatemala : RSF dénonce des “attaques abjectes” visant le journaliste espagnol Asier Vera
Le reporter fait face à une campagne de diffamation alors qu’il enquête sur l’incendie d’un foyer pour mineurs. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités de garantir sa sécurité et d’arrêter les coupables.
La découverte a été choquante pour le journaliste espagnol Asier Vera, basé au Guatemala. Le 8 mars dernier, alors qu’il vient de couvrir les cérémonies de commémoration du tragique incendie du refuge pour enfants “Hogar Seguro” (littéralement le “foyer sûr”), survenu en 2017, une amie l’appelle et le prévient : un graffiti inscrit à la craie sur l’une des principales avenues de la capitale guatémaltèque le désigne comme un agresseur d’enfants : “Asier Vera, Tocaniñas” ( “Asier Vera, toucheur de filles”).
“J’étais tellement bouleversé que je me suis rendu sur place et, en effet, deux graffitis se trouvaient sur la sixième avenue de Guatemala City, une des principales artères de la ville, que des milliers de personnes traversent chaque jour”, explique le journaliste à RSF Espagne. Asier Vera a immédiatement déposé une plainte auprès du ministère public, qui l'a appelé à témoigner, et a signalé les faits au procureur en charge du respect des droits de l'Homme du Guatemala, Jordán Rodas.
Ces graffitis ont été accompagnés d’attaques sur les réseaux sociaux. Un tweet affirme ainsi que “les journalistes sont très doués pour détruire la réputation et les noms des autres, mais quand quelqu'un écrit quelque chose contre eux, ils se dépêchent de porter plainte. Asier, agresse des jeunes filles #doublestandard”. Dans un autre message, un internaute écrit : “Pourquoi agresser des jeunes filles ? Maintenant tu n’as qu’à demander à Consuela Porras (la procureure générale du Guatemala, ndlr) de t’aider”.
"Je suis sous le choc et complètement dévasté, car en 20 ans de métier je n'avais jamais été l’objet d’attaques ou de campagnes de diffamation, et surtout pas de cette ampleur et avec des connotations si stigmatisantes et douloureuses, déplore le journaliste qui affirme également avoir reçu des messages privés l’accusant de chercher à nuire au Guatemala.
Des adolescentes victimes d’abus sexuels
“Les autorités guatémaltèques doivent identifier et traduire en justice les responsables de ces attaques diffamatoires abjectes, déclare le responsable du bureau de RSF en Amérique Latine, Emmanuel Colombié. L’impunité quasi-totale dont bénéficient les crimes commis contre les journalistes au Guatemala est un fléau qui rend le travail de la presse particulièrement complexe et génère de l’autocensure sur de nombreux sujets, et plus particulièrement sur les sujets compromettant pour le pouvoir en place”.
Selon Asier Vera, cette campagne de diffamation est la conséquence directe de son enquête, menée depuis quatre ans, sur l’incendie du “Hogar Seguro”. Le 7 mars 2017, 56 adolescentes se sont échappées de ce refuge pour enfants qui œuvrait pour la protection des mineurs vulnérables. Mais, dans ce foyer où s’entassaient plus de 600 adolescents, des jeunes filles affirment avoir été victimes, durant des années, de viols, d’abus sexuels et de mauvais traitements. Mal nourries, elles vivaient dans des conditions déplorables : une fois interceptées par les forces de l’ordre, elles étaient enfermées dans une pièce verrouillée, sans même l'autorisation d'aller aux toilettes. L'une d’elles avait alors mis le feu à un des 22 matelas mis à leur disposition et les policiers, qui les détenaient illégalement dans une salle de classe, ont mis neuf minutes à ouvrir la porte. 41 adolescentes sont décédées et 15 autres ont été gravement blessées dans cet incendie.
Asier Vera est le seul journaliste à avoir suivi l'ensemble du processus judiciaire concernant ce drame, où douze personnes sont mises en cause dont deux policiers et plusieurs hauts fonctionnaires. Le reporter, arrivé au Guatemala en septembre 2015, a couvert cette affaire pour le site local Nómada, mais aussi pour le journal El Mundo et d’autres médias espagnols.
Le Guatemala occupe la 116e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.