Ce que RSF demande pour les lanceurs d’alerte
Alors que le projet de loi Sapin 2, qui prévoit de mettre en place un dispositif légal encadrant la protection des lanceurs d’alerte, doit être examiné en commission au Sénat français à partir du 21 juin, Reporters sans frontières détaille les éléments qui doivent être pris en compte pour un cadre réellement protecteur, et demande aux sénateurs de renforcer encore le texte.
Reporters sans frontières (RSF) demande la mise en place d’un dispositif légal pour protéger efficacement ceux qui, dans une démarche citoyenne, font des révélations au bénéfice de l’intérêt général, souvent à leurs risques et périls. Ce dispositif devra instaurer un mécanisme de protection commun à tous les lanceurs d’alerte, quel que soit le domaine auquel touchent les révélations.
Une alerte sur des actes qui portent atteinte à l’intérêt général
Un lanceur d’alerte doit pouvoir être protégé pour toutes les révélations sur des actes qui portent atteinte à l’intérêt général : les faits constitutifs d’une illégalité, mais aussi les actes qui ne sont pas strictement illégaux. Si la protection du lanceur d’alerte dépendait du caractère illicite de l’acte qui est dénoncé, alors Antoine Deltour, le lanceur d’alerte dans l’affaire Luxleaks, n’aurait droit à aucune protection.
En outre, la loi ne devrait pas prévoir qu’une alerte ne peut être lancée que dans une série de domaines, listés limitativement (l'environnement, la santé publique, la sécurité publique…). Ce sont toutes les atteintes et tous les risques pour l’intérêt général qui doivent pouvoir être révélés et ouvrir le droit à une protection.
Une alerte lancée par un acteur civique
Les mécanismes de protection du lanceur d’alerte doivent être accessibles aux employés du secteur privé comme à ceux du secteur public, aux membres des forces armées et aux services de renseignement.
De façon plus générale cependant, ces mécanismes doivent être ouverts à tout acteur civique qui révèle une information dans l’intérêt général, et ne doivent pas être prévus uniquement dans le cadre d’une relation de travail : les informations qui font l’objet d’une alerte ne sont pas toujours liées à l’activité professionnelle de celui qui les divulgue. Le conjoint d’un agent de l’administration, par exemple, ou celui qui apprend un fait de façon incidente et le révèle, doit aussi pouvoir être protégé.
Une alerte lancée de bonne foi
La bonne foi de celui qui révèle une information est un élément essentiel de son droit à une protection. La divulgation doit être faite dans l’intérêt général, sans objectif illicite, contraire à l'éthique ou vénal. Celui qui monnayerait ses révélations ou chercherait un gain personnel ne doit pas pouvoir prétendre à une protection.
La bonne foi du lanceur d’alerte implique également que celui-ci doit avoir des motifs raisonnables de penser que l’information divulguée est vraie. Cependant, s’il s’avère par la suite que l’information était erronée, l’erreur d’appréciation ne doit pas pouvoir être reprochée au lanceur d’alerte de bonne foi, et ne doit pas le soustraire à la protection.
Une alerte qui doit pouvoir être lancée à un journaliste
Selon RSF, il doit être possible d’effectuer l’alerte directement auprès d’un journaliste : si l’information révélée porte sur un sujet qui touche à l’intérêt général, le grand public a par définition intérêt à la connaître.
Le signalement à un journaliste ne doit pas être reconnu que comme un ultime recours, après que tous les canaux existants (canaux hiérarchiques, mécanismes internes d’alerte, alerte à l’autorité administrative ou judiciaire…) se soient révélés inopérants. RSF demande que cette exigence d’une alerte préalablement effectuée auprès de canaux internes ou judiciaires soit strictement cantonnée à certains secteurs précis, par exemple ceux qui touchent à la défense ou la sécurité nationale.
RSF soutient que la révélation directe à un journaliste doit même être encouragée dans les cas de violations des droits de l’homme ou des libertés fondamentales, ainsi que dans les cas où l’urgence d’informer le public impose de s’adresser directement à un journaliste.
Une alerte qui doit ouvrir le droit à une protection
Le lanceur d’alerte doit être protégé: il ne doit pas pouvoir être poursuivi ou licencié au seul motif qu’il a révélé une information. S’il est licencié, le lanceur d’alerte doit avoir la possibilité de saisir en référé le juge prud’homal (ou le juge administratif si c’est un agent public) pour bloquer les effets juridiques de la mesure de licenciement. Et il doit alors incomber à celui qui a pris des mesures contre le lanceur d’alerte de démontrer que ces mesures ont été motivées par des raisons autres que l’acte de signalement.
L’identité du lanceur d’alerte doit absolument être tenue secrète, et ne doit pouvoir être divulguée qu’avec son consentement, ou seulement si cela permet d’éviter des menaces graves et pour l’intérêt public.
Le lanceur d’alerte ne doit pas avoir à démontrer sa bonne foi pour obtenir une protection. Par exemple l’employeur qui justifierait des sanctions contre un lanceur par sa prétendue mauvaise foi aurait à démontrer celle-ci.
De même s’il est allégué que le lanceur d’alerte n’a pas eu recours préalablement aux canaux internes alors qu’il aurait dû le faire : la charge de la preuve que la croyance du lanceur d’alerte en l’inefficacité ou la dangerosité pour lui du recours à ces canaux est infondée, doit incomber à celui qui porte cette allégation.
Enfin, des sanctions pénales spécifiques doivent être prévues contre les auteurs de représailles à l’encontre d’un lanceur d’alerte.
Les insuffisances du projet Sapin 2
Le projet de loi Sapin 2 du gouvernement français a le mérite de consacrer le rôle des lanceurs d’alerte et d’organiser leur protection. Ce texte porte des avancées majeures: instauration de mécanismes d’anonymisation et de protection, possibilité d’une assistance matérielle au lanceur d’alerte, et sanctions pénales à l’encontre de ceux qui cherchent à entraver le lancement d’une alerte.
Malgré ces avancées, RSF déplore 3 insuffisances majeures dans ce projet:
- Une définition restrictive des domaines dans lesquels une alerte peut être lancée, qui vient limiter grandement la portée et l’intérêt du texte. Le projet prévoit en effet que l’alerte, pour ouvrir le droit à la protection de celui qui la lance, doit porter sur “un crime ou un délit, un manquement grave à la loi ou au règlement, ou des faits présentant des risques ou des préjudices graves pour l’environnement ou pour la santé ou la sécurité publiques”.
Reporters sans frontières demande aux sénateurs de revenir sur la définition du lanceur d’alerte, et de permettre une protection dans tous les cas de révélation d’intérêt général.
- Une interdiction des alertes portant sur des sujets qui relèvent du secret de la défense nationale. Des informations sur de tels sujets - comme l’a montré l’Affaire Snowden - peuvent avoir une grande importance pour l’intérêt général, et leur révélation faire courir un risque sérieux à celui qui les divulgue. C’est donc plutôt un régime spécifique qui doit être mis en place pour les informations relatives à la sécurité nationale, et qui préservent la possibilité de protection du lanceur d’alerte.
- Une limitation de la possibilité d’alerte directement à un journaliste, qui devrait pourtant être favorisée dès lors que l’information est d’intérêt général.