Ukraine : RSF dénonce la tentative de procédure-bâillon lancée contre le média d’investigation Slidstvo.info
À la suite de la publication d’une enquête révélant les liens entre un homme d’affaires ukrainien et la Russie, le média d’investigation ukrainien Slidstvo.info est visé par une plainte pour diffamation et fait face à une manipulation du processus judiciaire. Reporters sans frontières (RSF) demande le classement sans suite de ces poursuites injustifiées et dénonce cette pression judiciaire.
Depuis le 5 septembre, une procédure judiciaire est ouverte contre le journal Slidstvo.info pour diffamation après la publication d’une enquête en mai dernier. La plainte avait été déposée par l’homme d’affaires ukrainien Serhiy Semeniuk pour “protection de l’honneur, de la dignité et de la réputation commerciale” contre le média et la journaliste Yanina Kornienko, à l’origine de l’article. La décision de la cour devrait être communiquée d’un jour à l’autre.
L’enquête en cause a été publiée en mai dernier en coopération avec le réseau de journalistes d’investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) sous le titre : “Du Palais du Kremlin à Ukrenergo : qui nettoie les installations stratégiques en Ukraine ? ” Elle révèle que des sociétés de ménage appartenant à un homme d’affaires ukrainien, Serhiy Semeniuk, dans l’orbite de l’homme d’affaires russe Eduard Apsit, nettoient depuis plusieurs années les installations stratégiques ferroviaires, bancaires et énergétiques ukrainiennes. Ces services ont continué depuis l’invasion russe en Ukraine le 24 février 2022.
“Cette affaire est clairement une tentative de poursuite-bâillon visant à intimider Slidstvo.info pour dissuader les journalistes d’enquêter. L'équipe de Serhiy Semeniuk a été jusqu’à manipuler le système judiciaire ukrainien pour s’assurer que le média d’investigation serait bien condamné. Ces pratiques scandaleuses nuisent au journalisme d’investigation indépendant. RSF demande que l’affaire soit classée sans suite.
Le média Slidstvo.info a en effet prouvé que l’équipe juridique de Serhiy Semeniuk a tenté de manipuler le système judiciaire de sélection électronique permettant de désigner le juge qui présidera l’affaire. Cette sélection électronique aléatoire des juges a pour objectif de lutter contre la corruption de la justice en Ukraine. Or, dans cette affaire le système a été faussé car Anna Haponets, l’avocate de Serhiy Semeniuk, a déposé et retiré plusieurs fois la plainte en ligne, selon les informations recueillies par Slidstvo.info, jusqu’à obtenir la juge souhaitée.
Autre élément de manipulation de la procédure révélée par le média d’investigation : la plainte pour diffamation vise aussi un autre accusé, Vladyslav Hrindak, qui est apparu dans l’affaire pour avoir partagé l’enquête sur sa page Instagram. Non-affilié à la rédaction de Slidstvo.info, cet homme est enregistré dans un quartier à Dnipro où se trouve le tribunal Jovteniy, dans lequel l’équipe de défense de Serhiy Semeniuk voulait faire juger l’affaire. Grâce à ce nouvel accusé, l’affaire est jugée dans ce tribunal. Il est visé par la plainte, mais sans demande de dommages et intérêts contrairement à celle visant Slidstvo.info, ce qui prouve selon la rédaction que son cas sert uniquement à faire juger toute l’affaire dans le tribunal choisi par les avocats de Serhiy Semeniuk.
L’équipe de Slidstvo.info a correspondu avec le tribunal uniquement par écrit et attend le verdict. Elle risque d’être condamnée à payer 200 000 hryvnias de dommages et intérêts, l’équivalent d’environ 5170 euros.