Turquie : RSF dénonce le harcèlement des deux dernières chaînes de télévision critiques

Après le lynchage médiatique, le matraquage financier : les chaînes turques FOX TV
et Halk TV viennent d’être condamnées à des amendes astronomiques. Reporters
sans frontières (RSF) dénonce un acte de censure qui ne vise qu’à parachever la mise
au pas de l’audiovisuel turc.

C’est un coup de massue : le 26 décembre 2018, le Haut Conseil de l’audiovisuel (RTÜK) a condamné la joint-venture américano-turque FOX TV à un million de livres turques d’amende (soit plus de 165 000 euros) et à la suspension pour trois jours de son principal journal télévisé. La chaîne kémaliste Halk TV est quant à elle frappée d’une amende de 80 000 livres turques (environ 13 000 euros) et son émission de débat “Halk Arenası” est suspendue pour cinq jours. En cas de nouvelle sanction, la licence de ces chaînes pourrait être annulée.


Les deux médias sont mis en cause pour des critiques diffusées sur leurs antennes contre les autorités turques. Invités de “Halk Arenası” le 21 décembre, les célèbres comédiens Metin Akpınar et Müjdat Gezen avaient mis en garde contre la polarisation et le risque de putsch induits par la dérive “fasciste” du pouvoir et son rapprochement avec la Russie. Le journaliste Yılmaz Özdil avait estimé que le pays se porterait mieux si le chef de l’État “avait bu ne serait-ce qu’une seule bière”. Commentant le mouvement des gilets jaunes en France, le présentateur vedette du journal de FOX TV, Fatih Portakal, avait quant à lui estimé le 10 décembre que le droit de manifester n’était pas garanti en Turquie.


La réaction d'une rapidité inhabituelle du RTÜK est le couronnement d'un lynchage orchestré au plus haut niveau ces dernières semaines. Le président Erdoğan a multiplié les attaques contre les auteurs de ces propos, avertissant qu’ils en “paieraient le prix” et allant jusqu’à lancer à l’adresse de Fatih Portakal : “reste à ta place, ou la nation te brisera le cou”. Les plaintes en justice visant FOX TV et Halk TV se sont rapidement accumulées, tandis qu’une virulente campagne de presse se déchaînait à leur encontre. Des militants pro-pouvoir ont manifesté devant le siège de la chaîne américano-turque, le 26 décembre, en scandant le nom du chef de l’État. Fatih Portakal a fait état de menaces de mort.


“Nous condamnons ces sanctions hors de toute proportion : c’est un acte de censure qui ne vise qu’à mettre au pas les dernières chaînes de télévision critiques du pays, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’Est et Asie centrale de RSF. Ces pressions sont d’autant plus préoccupantes qu’elles consacrent une campagne de haine intolérable. Nous exhortons les autorités turques à cesser de jouer à ce jeu dangereux et à respecter la liberté d’expression.”


FOX TV est la dernière des dix chaînes les plus regardées du pays à ne pas appartenir à un propriétaire proche du pouvoir. La politisation du RTÜK, dont les membres sont désignés par le Parlement, n’a cessé de s’accentuer ces dernières années.


La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2018 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique après la tentative de putsch de juillet 2016 : de nombreux médias ont été fermés sans aucun recours effectif, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de journalistes professionnels emprisonnés.

Publié le
Updated on 28.12.2018