Turquie : RSF appelle le gouvernement à une réforme législative pour garantir le droit à l’information en ligne, conformément aux injonctions de la Cour constitutionnelle
La Cour constitutionnelle turque a cassé plusieurs décisions judiciaires qui censuraient des contenus journalistiques. La haute juridiction considère que l’article 9 de la loi sur l’Internet constitue une violation de la liberté de la presse. Reporters sans frontières (RSF) exhorte le gouvernement turc à se conformer aux injonctions de cette haute juridiction en réformant la législation controversée.
Certains articles censurés réapparaissent enfin sur la toile. Le 29 février, un juge d’Ankara, la capitale, a annulé la censure qui pesait sur un article du site d’information Arti Gerçek (“Vérité plus”). À l’instar de celle-ci, plus d’une trentaine de décisions judiciaires récentes annulent la censure de publications en ligne et se conforment ainsi à la décision de la Cour constitutionnelle turque du 6 février dernier. Celle-ci avait alors condamné la censure de plusieurs centaines de contenus en ligne, dont 272 journalistiques publiés entre 2014 et 2023 (articles, liens d’articles, publication sur les réseaux sociaux…), considérant que leur fondement – l’article 9 de la loi 5651 qui réglemente les publications sur Internet – constitue une violation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse.
Cet article 9 permet en effet au juge de censurer pour une durée indéfinie toute publication sur Internet, y compris celles traitant de sujets d’intérêt public, tels que la corruption politique, en invoquant la “violation des droits de la personne”. La Cour constitutionnelle y voit un problème “structurel et récurrent” qui viole la liberté d’expression et la liberté de la presse, et qui prive les internautes d’un “recours efficace” pour faire valoir leurs droits. Ayant pointé ce problème dès octobre 2021, elle avait donné un an au Parlement turc pour réformer cette loi de 2007.
“Il est salutaire que la Cour constitutionnelle, qui est elle-même dans la ligne de mire du pouvoir pour ses positions démocratiques, ait condamné aussi clairement la censure visant le journalisme en ligne, largement utilisée ces dix dernières années pour faire taire toute critique du pouvoir en place. RSF appelle le gouvernement à se conformer aux décisions de la plus haute juridiction du pays et à réformer l’article 9 de la loi sur l’Internet afin d’apporter des garanties légales pour que cesse enfin cette censure abusive intolérable.
Selon le site d’information Bianet.org, partenaire de RSF en Turquie, pas moins de 986 articles ou liens d’articles journalistiques ont été rendus inaccessibles en 2023 dans le pays. Une délégation internationale présidée par l’International Press Institute (IPI) – un réseau mondial de professionnels des médias qui défendent la liberté de la presse, dont fait partie RSF –, avait rendu visite en octobre 2023 à la Cour constitutionnelle, à Ankara, la capitale, pour dénoncer ces restrictions systématiques sur l’information en ligne. La haute juridiction qui a réitéré son appel à une réforme le 10 janvier dernier, prévenant que l’article 9 de la loi sur l’Internet ne devait plus être appliqué à partir d’octobre 2024. Mais face à l’inertie du gouvernement pour impulser une réforme, la Cour n’a eu d’autre choix que d’invalider les centaines de mesures de censure dès ce 6 février.
Cependant, si plusieurs juges se sont déjà conformés à la décision de la Cour Constitutionnelle, d’autres la méconnaissent : le 26 février, un juge d’Istanbul, a de nouveau censuré des articles des sites d’information Cumhuriyet, Halk TV et Sözcü, relatifs à des allégations de corruption d’un haut fonctionnaire proche du président Erdogan, allant ainsi à l’encontre de la levée de cette censure prononcée à deux reprises par la plus haute juridiction – le 6 février et le 24 octobre 2022.
La Turquie occupe la 165e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2023 par RSF.