Traçage de source d’un journaliste du Trinidad Guardian dans un climat tendu pour la profession
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Reporters sans frontières réclame solennellement la constitution d’une commission d’enquête indépendante, après les révélations d’écoutes téléphoniques sauvages dont a été victime Anika Gumbs-Sandiford, du quotidien Trinidad Guardian. L’organisation s’inquiète également des conséquences d’une opération de discrédit, attribuée à des proches du pouvoir, ciblant certains journalistes, tout comme des velléités gouvernementales d’imposer aux médias la transmission d’annonces officielles (connues sous le nom de cadenas en Amérique latine) sans la moindre contrepartie.
“Anika Gumbs-Sandiford a clairement fait l’objet d’une tentative de violation du secret des sources, autrement dit d’un pilier majeur de la liberté d’information. Cette histoire n’est pas sans rappeler celle, survenue au début de cette année, d’Andre Bagoo, du quotidien Newsday, qui enquêtait lui aussi sur des conflits au sein d’institutions publiques. Dans le cas présent, le procédé s’apparente à une manœuvre d’espionnage, d’autant plus scandaleuse que le gouvernement de Mme Kamla Persad-Bissessar avait publiquement promis de mettre fin à de telles pratiques en 2010 avant l’adoption par le Parlement de la loi sur les interceptions de communication. Comment restaurer, dans ces conditions, la confiance minimale entre les pouvoirs publics et la profession ? L’instauration d’une commission d’enquête indépendante devient impérative”, a déclaré Reporters sans frontières.
D’après nos informations, plusieurs appels téléphoniques passés par Anika Gumbs-Sandiford ont été interceptés par la compagnie d’État TSTT (Telecommunications Services of Trinidad and Tobago) puis transmis à la Chaguaramas Development Authority (CDA), une autre entreprise d’État. La manœuvre ne doit évidemment rien au hasard puisqu’Anika Gumbs-Sandiford venait de publier, le 9 septembre dernier, un article détaillant une polémique autour d’un contrat conclu entre la CDA et le ministre de la Planification et du Développement, révélant de la part de celui-ci une ingérence indue dans le fonctionnement de l’entreprise.
Blocages et rumeurs
Ce traçage de sources d’un journaliste survient à un moment de nouvelles tensions nouvelles entre une partie de la profession et le gouvernement. Nombreux sont les journalistes à dénoncer l’ordre donné par le ministre de la Sécurité nationale, Jack Warner, de bloquer tout accès aux statistiques officielles de la criminalité. Le même ministre est soupçonné d’avoir récemment fait pression pour qu’une réforme législative mette à l’abri d’un procès deux importants donateurs du Congrès national uni (parti au pouvoir) - Ishwar Galbaransingh et Steve Ferguson – poursuivis pour “blanchiment d’argent” et dont les Etats-Unis réclament l’extradition. Après avoir révélé ce scandale, les journalistes Denyse Renne, du Trinidad Guardian et Asha Javeed, du Trinidad Express, ont essuyé des attaques répétées attribuées aux soutiens du gouvernement, assortis d’emails colportant des rumeurs sur leur vie privée.
Dans ce climat, Reporters sans frontières voit comme une stratégie punitive la mesure proposée au début de ce mois d’octobre par le ministre de la Communication, Jamal Mohammed, qui obligerait l’ensemble des médias privés à retransmettre sans compensation des annonces gouvernementales, d’une durée pouvant aller jusqu’à cinq minutes, dans un créneau compris entre 6 heures du matin et 6 heures du soir. “Un tel dispositif n’est pas conforme à l’exigence de pluralisme. Sa mise en place ne ferait qu’asseoir une situation de guerre médiatique qu’il est encore temps d’arrêter”, a déclaré Reporters sans frontières. En revanche, l’organisation accueille favorablement l’annonce faite au mois de juin dernier lors du congrès mondial de l’International Press Institute (IPI) par la Première ministre Kamla Persad-Bissessar, d’une dépénalisation prochaine de la “diffamation” dans la législation trinidadienne. Dans douze des treize Etats indépendants de la Caraïbe, les délits de presse restent passibles de peines de prison. C’est le gouvernement de Grenade qui, le premier, a montré la voie, en dépénalisant les délits de diffamation en juillet 2012.
Publié le
Updated on
20.01.2016