Syrie : pressions grandissantes sur les médias loyalistes
L’arrestation d’un journaliste loyaliste syrien la semaine dernière à Alep confirme le musellement toujours plus grand des médias pro-gouvernementaux via les services de renseignements.
Soutenir le gouvernement et ceux qui sont à sa tête ne met pas les journalistes loyalistes à l’abri. Plusieurs médias syriens ont rapporté l’interpellation du correspondant pour la chaîne iranienne pro-gouvernementale Al-Alam, Rabea Kalawandy, le 8 juillet dernier à Alep. Sa famille n’a aucune idée de la raison pour laquelle il a été arrêté. Sa page officielle a arrêté d’être alimentée le jour suivant, puis a repris son cours le lendemain, sans explication. La seule certitude, c’est que son nom s’ajoute à une liste déjà longue de journalistes réputés loyalistes qui ont été poursuivis ou menacés par les renseignements syriens après diverses publications. Selon des informations recueillies par RSF, au cours de ces 12 derniers mois, ils sont au moins 13 dans ce cas. Les charges les plus courantes retenues contre eux sont : “affaiblissement du moral de la Nation” ou encore “atteinte au prestige de l’Etat”.
L'illusion de la liberté
Jusqu’ici, ces journalistes bénéficiaient d’un traitement privilégié. En les autorisant à accéder à des zones de combats et de transferts de population, les renseignements leur ont permis de jouer un rôle clé dans la couverture médiatique du point de vue officiel et de toucher un large public. Selon le directeur de l’ONG Syria Justice & Accountability Center (SJAC), Mohammad Al-Abdullah, interrogé par Enab Baladi, les journalistes ont alors tenté de tirer un avantage de leur notoriété et de leurs contacts avec les personnalités importantes pour aborder des questions liées aux conditions de vie de la population, à la pauvreté et à la corruption. La réaction des autorités et des services de sécurité leur rappelle cependant que les limites de la critique n’ont pas changé.
L’un de ces journalistes est reporter pour la chaîne libanaise Al-Mayadeen - dont la couverture est habituellement favorable aux gouvernements syrien et iranien. Considéré comme très influent sur les réseaux sociaux, Rida Albasha était l’un des visages incontournables des reportages de guerre en Syrie. Il avait accompagné les forces gouvernementales lors de nombreuses batailles contre les opposants armés. Jusqu’au jour où il a décidé de parler ouvertement de la corruption dans les zones contrôlées par les forces pro-Assad, notamment à Alep, dans des vidéos diffusées en direct sur Facebook. Cela lui a valu d’être expulsé du territoire syrien en février 2019.
“La puissance de la peur chez les journalistes”
Juste après son expulsion, Rida Albasha a partagé sur Facebook son interrogation : “Pourquoi avoir promulgué une loi sur les médias si vous poursuivez les journalistes avec des lois qui punissent les meurtriers, les trafiquants de drogue et les voleurs ?” Depuis, sa publication a été supprimée, mais c’est aussi pour cela qu’un autre journaliste, qui souhaite garder l’anonymat, a décidé de mettre un terme à ses activités de rédacteur en chef après avoir décidé, d’un commun accord avec le propriétaire du titre, de ne plus faire paraître le journal pour lequel il travaillait. Dans un éditorial brièvement mis en ligne à la mi-mai avant qu'il ne soit dépublié, il évoquait "la puissance de la peur chez les journalistes" et le fait que la presse syrienne traverse une des périodes les plus dures de son histoire.
D’autres journalistes ont également partagé leur frustration sur Facebook. Mais comme dans les cas précédents, ils ont ensuite rapidement supprimé leur publication, par crainte de représailles. Un célèbre présentateur, qui animait un programme sur la corruption sur une chaîne d’Etat, et qui ne préfère pas révéler son identité bien qu’il soit aujourd’hui en exil, explique avoir quitté la Syrie car il ne pouvait plus travailler dans de bonnes conditions sur ce sujet.
Autre sujet tabou pour le régime syrien : les prix du carburant. Le 10 avril 2019, le rédacteur en chef du site web Hashtag Syria, Mohamad Harsho, a été arrêté après avoir publié un article sur un projet gouvernemental d’augmenter le prix de l’essence. Il a finalement été libéré après que les renseignements ont obtenu le retrait de la publication, assorti d’un communiqué d’excuses officielles. Un moindre mal comparé au sort réservé au journaliste de la cellule médiatique du parti Baas, Raeif Salameh. Accusé d’avoir administré une page Facebook critique envers le ministère de la Santé, il a été emprisonné d’avril à mai 2019. Avant lui, en août 2018, c’est le correspondant du Hashtag Syria, Amer Drau, qui a été arrêté pour “publication de fausses nouvelles” avant d’être libéré quatre mois plus tard, en novembre 2018.
Le sort incertain du rédacteur en chef de Damascus Now
Le cas de Wissam Al-Tair, le rédacteur en chef de Damascus Now, le média pro-gouvernement le plus influent sur Facebook avec plus de 2,7 millions d’abonnés reste le plus emblématique. Son arrestation le 15 décembre 2018 a créé la surprise. Sa page a cessé de fonctionner pendant plusieurs jours. Son confrère de Sham FM, Sonel Ali, arrêté au même moment, a été rapidement libéré. Lui non.
Aujourd’hui, personne ne sait encore où Wissam Al-Tair se trouve ni pourquoi il a été arrêté. Selon certaines sources, le journaliste aurait commis l’erreur de publier un sondage sur la crise du carburant dans le pays. Sur sa page Facebook, l’écrivain et chercheur syrien Hossam Jazmati avance une autre explication. Il affirme savoir “de sources sûres” que Wissam Al-Tair vendait les photos qu’il prenait à des médias étrangers, ce qui constitue un acte de trahison car seuls les médias qui sont dans les bonnes grâces du gouvernement sont autorisés à travailler.
De son côté, la famille de Wissam Al-Tair, basée à Jableh (sud de Latakieh), s’est exprimée dans une vidéo sur Facebook peu de temps après son arrestation. D’après le frère du journaliste, Wissam commençait à s’intéresser à la corruption dans le pays lorsque les services de renseignements ont décidé de l’arrêter. Leur mère, en larmes, raconte s’être rendue à Damas pendant dix jours pour essayer d’obtenir des informations sur son sort, sans succès. Selon des informations non confirmées, Wissam Al-Tair serait mort sous la torture.
Un arsenal juridique renforcé
En théorie, la Constitution syrienne de 2012, adoptée après les premières manifestations, garantit la liberté de la presse et le “droit d’accès à l’information pour les affaires publiques” et interdit “les arrestations, interrogatoires ou les recherches de journalistes”. Le gouvernement multiplie les annonces en ce sens et assure qu’une plus grande ouverture est accordée aux médias. Dernièrement, le ministre de l’Information, Imad Sara, a même affirmé dans un communiqué qu’il n’y aurait dorénavant plus de “lignes rouges” imposées.
Dans les faits, depuis mars 2018, depuis l’adoption par le gouvernement d’une loi sur la mise en place d’un tribunal spécial pour les “crimes d’information et de communication”, le contrôle des publications en ligne s’est amplifié.
En 2019, la Syrie occupe la 174e place sur 180 dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.