RSF soutient une journaliste d’investigation ciblée par une procédure-bâillon en Serbie, terrain propice au harcèlement judiciaire
Une journaliste du média d’investigation KRIK risque une peine de prison pour un article révélant les tractations secrètes d’un puissant homme d’affaires proche du président serbe. Reporters sans frontières (RSF) suit le procès et appelle la Serbie à adopter les mesures anti-SLAPP recommandées par l’Union européenne.
“Le fait que des hommes d’affaires, entretenant des relations problématiques avec la politique et les politiciens, recourent à des actions en justice abusives pour museler les journalistes ne semble gêner ni le système judiciaire serbe ni la société”, déclare la responsable du plaidoyer de RSF Allemagne, Lisa Kretschmer, qui suit, à Belgrade, le procès de la journaliste Dragana Pećo. “Il faut que cela change, afin que le journalisme d’intérêt public – sous pression de toutes parts en Serbie – soit mieux protégé.”
“Nous appelons la Serbie – qui est un terrain propice aux procédures-bâillons en Europe, mais aussi un candidat à l’entrée dans l’UE – à adopter l’ensemble des recommandations émises par la Commission européenne en avril 2022. Elles incluent des mesures préventives pour protéger les journalistes contre les procédures-bâillons, ainsi que des mesures punitives contre ceux qui les utilisent”, ajoute le responsable du bureau UE-Balkans de RSF International, Pavol Szalai.
Le cas de Dragana Pećo, du média d’investigation serbe KRIK, est emblématique d’une procédure-bâillon (SLAPP soit en anglais Strategic Lawsuits Against Public Participation) en Serbie. La journaliste est poursuivie pour la deuxième fois par Nikolas Petrović, puissant homme d’affaires et témoin de mariage du président serbe Aleksandar Vučić. La procédure engagée actuellement contre Dragane Pećo par Nikolas Petrović concerne son article sur ses tractations secrètes, qui révèle en particulier ses liens étroits avec l’homme d’affaires controversé Stanko Subotic. Dragana Pećo et sa co-autrice Vesna Radojević ont dévoilé que Nikolas Petrović avait acheté une compagnie aérienne à Stanko Subotic à un prix nettement réduit, via des sociétés intermédiaires situées au Luxembourg. En réaction, les avocats de Nikolas Petrović demandent à un tribunal de Belgrade de condamner Dragana Pećo à deux mois de prison pour “collecte non autorisée de données personnelles”. Ils requièrent un mois de prison pour Vesna Radojević.
La prochaine audience du procès, qui dure depuis près de 18 mois, est prévue le 28 octobre. RSF la suit sur place en soutien à Dragana Pećo et dans le cadre d’une mission plus largement dédiée à la liberté de la presse en Serbie.
Le média d’investigation sur le crime organisé et la corruption KRIK, pour lequel travaille Dragana Pećo, a été visé par de nombreuses procédures-bâillons. Dernièrement, il a fait l’objet d’une action en justice de la part de l’ancienne secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur serbe, Dijana Hrkalović – elle-même actuellement en procès, accusée d’avoir utilisé ses hautes fonctions pour entraver une enquête criminelle. Selon les nombreux articles de KRIK, la femme politique aurait été en contact avec des membres d’une organisation criminelle. Outre KRIK, elle a déposé plainte contre 15 autres médias.
Le 20 octobre dernier, la Serbie a été l’un des trois pays nominés pour le prix du “pays du SLAPP de l’année” lors du concours européen de SLAPP organisé par la Coalition européenne contre les procédures-bâillons, CASE, dont RSF est également membre. Selon le jury, le plus important pays candidat des Balkans occidentaux à l’UE a, avec 18 cas documentés d’actions abusives en 2021, "s'est révélé être un terrain fertile pour les SLAPP". Le prix a finalement été attribué à la Pologne.
Ni le bureau du procureur ni les tribunaux ne communiquent suffisamment avec la presse, selon une récente étude de l’Association des journalistes indépendants de Serbie (NUNS) – l’une des conséquences étant que les journalistes sont mal compris par une partie du système judiciaire. Nombre de juges serbes ne savent pas que les SLAPP visent délibérément à entraver le travail journalistique, voire à le rendre impossible. Les plaignants réclament souvent d’importants dommages et intérêts, alors que les seuls frais juridiques d’un procès compromettent l’existence d’une rédaction. Quant aux journalistes indépendants, ils sont encore plus vulnérables.
La Serbie occupe le 79e rang sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2022.