RSF a recensé 20 cas d'atteintes à la liberté de la presse au Pérou entre août et septembre 2024

Le Pérou a connu un net recul de la liberté de la presse, perdant 48 places dans le Classement mondial de la liberté de la presse de Reporters sans frontières (RSF) au cours des deux dernières années. Rien qu'entre août et septembre 2024, RSF a documenté 20 violations de la liberté de la presse, dont beaucoup impliquent des fonctionnaires qui s'en prennent à des journalistes. L'un des cas les plus alarmants est celui de la journaliste d'investigation Paola Ugaz, dont les droits à la vie privée et à la confidentialité des sources ont été violés par le système judiciaire, soulignant les menaces croissantes qui pèsent sur la confidentialité journalistique et la liberté de la presse dans le pays.

La journaliste péruvienne Paola Ugaz, connue pour ses enquêtes sur les crimes commis par la secte ultraconservatrice Sodalicio de Vida Cristiana, a récemment fait les frais d’une nouvelle évolution troublante dans le déclin de la liberté de la presse dans son pays – mais pas dans le cadre de son travail d'investigation. En effet, Paola Ugaz, qui fait l'objet d'un harcèlement judiciaire depuis 2018, a découvert qu'en août 2023, un juge avait approuvé la demande du procureur de divulguer ses relevés téléphoniques de 2013 à 2020 dans le cadre d'une enquête sur les allégation “d’enrichissement illicite" de Paola Ugaz. Ni Paola Ugaz ni son avocat n'ont été informés de cette décision, dont la demande a été faite sous le statut "classifié". Celle-ci était basée sur de fausses accusations liées à son travail en tant que responsable des réseaux sociaux à la mairie de Lima de 2013 à 2014, et constituait une tentative évidente d'accéder à ses informations journalistiques confidentielles, telles que l'identité de ses sources.

C'est la première fois que les autorités péruviennes divulguent les données de communication d'un journaliste sans l'en avertir, créant ainsi un dangereux précédent qui pourrait nuire à la protection des sources des journalistes. Le 26 septembre, Paola Ugaz a fait appel de cette décision. RSF continuera à suivre le harcèlement judiciaire dont est victime Paola Ugaz, qui a révélé des cas de torture physique et psychologique de la part de dirigeants du Sodalicio, ainsi que des cas de trafic de terres et de trafic d'influence. 

Paola Ugaz n'est qu'un des nombreux journalistes qui subissent une pression croissante de la part de l'État, et RSF a également observé une augmentation inquiétante des menaces juridiques et de la rhétorique diffamatoire de la part des fonctionnaires. Le député Darwin Espinoza, qui fait l'objet d'une enquête pour corruption, a rejeté les rapports sur son cas comme étant des "ragots de bas étage", tandis que le député Alejandro Soto a intenté plusieurs procès en diffamation contre des journalistes qui enquêtaient sur ses violations de la loi. En septembre 2024, le porte-parole de la présidence, Fredy Hinojosa, a accusé les journalistes couvrant les manifestations antigouvernementales “d'incitation à la violence”, alimentant ainsi le climat d'hostilité à l'égard de la presse.

“La divulgation des enregistrements téléphoniques de Paola Ugaz – à son insu – est une violation flagrante de la confidentialité des sources et un exemple clair de l'hostilité croissante à l'égard du journalisme d'investigation au Pérou. L'augmentation des violations de la liberté de la presse met en évidence la grave crise à laquelle le pays est confronté. Nous exhortons le gouvernement à prendre des mesures rapides et décisives pour protéger les journalistes et sauvegarder la liberté de la presse.

Artur Romeu
directeur du bureau Amérique latine de RSF

Le 28 août 2024, Gustavo Gorriti, directeur du média numérique IDL-Reporteros, a été attaqué par un groupe d'extrême droite lié à des personnalités politiques qui apparaissaient dans les enquêtes de Gustavo Gorriti sur la corruption. Lors de manifestations à Lima, ce groupe a brandi des affiches aux messages diffamatoires envers Gustavo Gorriti, connu pour ses enquêtes sur le scandale de corruption Odebrecht et les dons non divulgués aux campagnes politiques de l'ancienne candidate à la présidence Keiko Fujimori. Le 25 septembre, le même groupe l'a de nouveau harcelé en proférant des discours haineux et en brandissant des pancartes insultantes devant le bureau du procureur.

D'autres journalistes ont été confrontés à cette hostilité, notamment Ernesto Cabral, du média numérique La Encerrona, et Stefanie Medina, de l'émission d'information Contracorriente sur la chaîne de télévision privée Willax, qui ont été entravés dans leurs efforts pour accéder à des informations politiques clés au cours de leurs enquêtes. Le journaliste colombien Jaime Dinas a été victime de discrimination alors qu'il couvrait un événement sportif. En août 2024, Patricia Hoyos et Rosario Romaní, journalistes du média numérique Ojo Público, poursuivies en diffamation pour avoir révélé des affaires de corruption, ont été la cible d'une cyberattaque lors de la publication du rapport Judicial Gag Order de l'Institut pour la presse et la société (IPYS).

La chute spectaculaire du Pérou dans le Classement mondial de la liberté de la presse reflète la gravité de la situation. 

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