RSF demande la création d’une commission d’enquête indépendante sur l'événement du dortoir 350
Organisation :
Au moins douze prisonniers d'opinion du dortoir 350 de la prison d'Evin ont entamé, le 20 avril 2014, une grève de la faim pour protester contre le déchaînement de violence survenu lors de la descente des forces de sécurité dans la prison, le 17 avril dernier, qui a fait au moins une cinquantaine de blessés parmi les prisonniers d'opinion. Ils ont été rallié, le lendemain par 21 co-détenus. six prisonniers de la prison de Raji Shahr ont depuis rejoints le mouvement. Le 23 avril, Golamhossien Esmaili, directeur de l’organisation des prisons du pays, a été démis de ses fonctions et nommé à la tête du département de la justice de la province de Téhéran, sur ordre de Sadegh Amoli Larijani, chef du pouvoir judiciaire.
"La République islamique d’Iran est le régime de l’impunité. Jusqu'à aujourd'hui, aucun responsable des violations systématiques et flagrantes des droits de l'homme n’a eu à rendre de compte à la justice. Le fait que le directeur de l’organisation des prisons du pays ait été muté après cette bavure constitue une victoire pour les familles des prisonniers ainsi que pour la société civile iranienne. Mais il est nécessaire que toute la lumière soit faite sur les circonstances de cette opération policière, et plus généralement sur les conditions de détention des prisonniers d’opinion.
“La vie de ces prisonniers, privés de soins et toujours menacés, est plus que jamais en danger. Nous demandons à ce que le rapporteur spécial de l’ONU sur la situation des droits de l’homme dans le pays, Ahmed Shaheed, soit autorisé à entrer sur le territoire de la République islamique d’Iran et qu’il puisse mener une enquête indépendante sur ces graves violations des droits des prisonniers d’opinions”, déclare Réza Moïni, responsable du bureau Iran-Afghanistan de Reporters sans frontières.
Le 21 avril 2014, jour de la visite pour les familles des prisonniers du dortoir 350 de la prison d'Evin, celles-ci ont été profondément choquées de voir les corps de leurs proches et parents couverts d’hématomes, souffrant de fractures, la plupart le crâne rasé. Leurs témoignages viennent contredire les démentis des autorités pénitentiaires et les déclarations du ministre de la Justice, Mostafa Pour Mohamadi, selon lesquelles “pendant la fouille des cellules, il n'y a eu aucune agression contre les prisonniers” et que “l’accusation d’agression n’est pas sérieuse”. Le 19 avril, 74 prisonniers du dortoir 350 avaient quant à eux adressé une lettre ouverte au procureur de Téhéran dans laquelle ils donnaient leur version de ce qu’ils qualifient “d'agression inhumaine et illégale”, et dans laquelle ils demandent ‘en tant que témoins directs du crime, l'ouverture d’une enquête”.
Suite à la mobilisation des familles, certains prisonniers - placés à l’isolement dans la section sécuritaire 240 au lendemain de la descente policière - ont réintégré leur dortoir. Cependant plusieurs d’entre eux souffrent toujours de blessures et restent privés de soins. “Ils ne veulent laisser aucune trace de ce qu'ils ont fait, afin qu’il n’y ait aucune preuve de leur crime! Evin est devenu l'Abou Ghraib”, a lâché l’épouse d’un des détenus à Reporters sans frontières.
Le 22 avril, suite à un rassemblement devant le palais présidentiel, une délégation de familles des prisonniers a été reçue par un des conseillers du Président de la République. Elles ont alors demandé “la démission du ministre de la Justice, la création d'une commission d’enquête et le retour de tous les prisonniers placés à l’isolement, la possibilité pour l’ensemble des détenus blessés de recevoir des soins, ainsi que la possibilité pour les détenus de contacter leurs familles”. Le lendemain, Mohammad Baghar Nobakhat, porte-parole du gouvernement, a annoncé, dans un entretien avec l’agence ISNA, “la création par le gouvernement d'une commission d’enquête, dont le rapport sera prochainement publié”.
Le soir-même, la télévision d’État a diffusé une interview de Golamhossien Esmaili, le directeur de l’organisation des prisons, accompagnée dimages de ladite “opération de fouille des cellules”, montrant “les téléphones portables, les radios artisanales, les écouteurs de la musique” qui auraient été utilisés - selon lui - “pour contacter les médias ennemis et les informer sur la situation dans la prison”. Ont également été diffusées les images des prisonniers “en train de casser les vitres de la porte”. Certaines de ces images avaient déjà été diffusées un an plus tôt dans l’émission “Behind the Bars in Iran” de Press TV, la chaîne en langue anglaise de la République islamique.
Le 23 avril, Sadegh Amoli Larijani, chef du pouvoir judiciaire, a démis Golamhossien Esmaili de ses fonctions, le nommant directeur de la justice de Téhéran. Le même jour, le procureur général, Gholam Hossein Mohseni Ejehi, a déclaré dans son point de presse que “ce changement avait été décidé depuis cinquante jours et n'avait rien à voir avec les événements récents du dortoir 350 de la prison d'Evin”. Avant d’ajouter : “Monsieur Esmaili est l’un des nos meilleurs directeurs. Cette mutation est en réalité une promotion”.
Rappel des faits
Le 17 avril 2014, vers 9 heures du matin, une vaste opération de fouille des cellules des détenus a été menée dans le dortoir 350 de la prison d’Evin par une centaine policiers en tenue anti-émeute, ainsi que des gardiens de la révolution et des agents en civil du ministère des Renseignements.
Selon les familles, les prisonniers sont restés dans leurs cellules pour surveiller leurs effets personnels. Suite à leur contestation de cette fouille irrégulière, les policiers ont répondu par une violence extrême, cassant le matériel, les télévisions et les affaires personnelles des détenus. Plusieurs dizaines de prisonniers, dont des journalistes et net- citoyens comme Mohammad Sadegh Kabovand, Hossein Ronaghi Malki, Mohammad Davari, Said Matinpour, Siamak Qaderi , Saïd Haeri ,Yashar Darolshafa, Alireza Rajai, mais aussi des avocats et défenseurs des droits de l’homme tels Abdolfattah Soltani et Hotain Dolati, ainsi que Behnam Ebrahimzadeh, militant du mouvement ouvrier, ont été battus puis placés à l’isolement dans la section sécuritaire 240, malgré leurs blessures.
Golamhossien Esmaili, le directeur de l’organisation des prisons a démenti, dans un entretien avec l’agence ILNA, “les fausses informations et les rumeurs publiées par les site d’information ennemis”. Pourtant, selon les informations obtenues par Reporters sans frontières, cette attaque avait été préparée et organisée par certains hauts responsables de la justice, par le département de l’information des Gardiens de la Révolution et par le ministère des Renseignements. La présence de certains de leurs représentants au moment de cette descente de police à Evin n’est pas une simple coïncidence.
Publié le
Updated on
20.01.2016