Le journalisme en état de siège au nord de la bande de Gaza : RSF dénonce le black-out de l’information organisé par Israël
Ils ne sont plus qu’une poignée de journalistes à rendre compte de l'offensive meurtrière au nord de Gaza dans des conditions sécuritaires effroyables et avec des coupures d’électricité et d’Internet incessantes. Reporters sans frontières (RSF) condamne le black-out informationnel mis en œuvre par l’armée d’Israël sur Gaza, et ce d’une manière plus intensive encore sur le nord de l’enclave palestinienne, d’où de moins en moins d’informations nous parviennent.
“Le journalisme est d’autant plus nécessaire qu’il est clairement en voie de disparition au nord de Gaza. Or, les autorités israéliennes s’obstinent à rendre les conditions du journalisme impossibles, et ce d’une manière plus offensive encore au nord du territoire, empêchant, de fait, toute image et toute voix qui pourraient rendre compte de la guerre en cours et des conditions humanitaires effroyables imposées à la population. En faisant cela, Israël compromet aussi le travail de la justice qui se base, en partie, sur les témoignages des victimes civiles consignés par les journalistes. Cet état de siège sur l’information est intolérable. RSF condamne les agissements de l’armée israélienne et reste déterminée à porter tous les manquements de l’État à ses obligations devant la justice internationale.
“J’ai peur dès que je commence à filmer”, confie à RSF un journaliste piégé au nord de la bande de Gaza – une zone qui représente près d’un cinquième du territoire de l’enclave palestinienne. Quelques heures à peine avant notre appel, ce professionnel de l’information, qui a requis l’anonymat pour des raisons de sécurité, s’était rendu au marché de Beit Lahya, l’une des localités assiégées du nord de la bande de Gaza, caméra au poing pour témoigner des conséquences d’une nouvelle frappe israélienne. Les tremblements de la vidéo publiée sur la chaîne Telegram qu’il a créée au début de la guerre, Sawt El Shemel (“La Voix du nord”), laissent deviner l’effroi de ce journaliste d’une quarantaine d’années lorsqu’il suivait une charrette chargée de corps inanimés. La municipalité de Beit Lahya a déclaré la ville en état de sinistre, le 30 octobre, à la suite d’un bombardement israélien qui a tué au moins 93 personnes.
Ce journaliste qui collabore également avec la chaîne palestinienne Alkofiya TV compte parmi les derniers professionnels de l’information présents dans le nord de la bande de Gaza, assiégé par l’armée israélienne à l'intérieur de ce bout de terre sous blocus. Depuis le début du mois d’octobre, l’armée israélienne tente de vider cette partie du territoire de sa population, y compris les journalistes. Face au danger d’être victime d’un bombardement, ce collaborateur de médias s’accroche à sa mission : transmettre des “histoires humaines”, “pour que le monde arrête cette guerre et que la vie reprenne ses droits”.
Dans des conditions humanitaires extrêmement dures, les journalistes composent dans le même temps avec des ressources matérielles limitées. “Nous avons peu de téléphones portables et peu de caméras, sans compter le très faible réseau Internet, fréquemment coupé”, explique le correspondant du site d’information palestinien Donia El Watan à Beit Lahya. Le journaliste de 26 ans originaire du camp de Jabalia, au nord de l’enclave palestinienne, s’est retrouvé parqué dans un quartier de Beit Lahya, incapable de se déplacer vers les zones voisines. “Nous ne pouvons nous rendre nulle part, ni en tant que citoyen, ni en tant que journaliste”, témoigne-t-il. Le journaliste de la radio palestinienne Sawt El Shaab (“La Voix du peuple”), Oussama al-Derini, a lui été arrêté par les forces israéliennes, le 24 octobre dans la ville de Beit Lahya, dans le cadre de l’arrestation arbitraire d’un groupe de déplacés.
Couvrir à distance, à l’intérieur de la bande de Gaza
Au sud de la ligne de démarcation tracée par l’armée israélienne pour quadriller cette partie nord du territoire, la plupart des journalistes couvre à distance le siège et ses terribles conséquences humanitaires. “Les journalistes expérimentés présents dans le nord sont extrêmement peu nombreux, et le reste publie seulement sur les réseaux sociaux”, constate Khader al-Zaanoun. Ce correspondant de plusieurs médias locaux et internationaux, comme l’agence de presse palestinienne WAFA, les chaînes saoudiennes Al Arabiya et Al Hadath, CNN et la BBC, demeure cantonné à la ville de Gaza. C’est là, à seulement quatre kilomètres de la zone nord, où, dès novembre 2023, la tour hébergeant le bureau de l’Agence France-Presse (AFP) ainsi que le bâtiment abritant le groupe Media Palestine ont été détruits par des tirs israéliens.
Pour se rendre sur les zones frappées par l’armée israélienne, Khader al-Zaanoun parcourt à pied les différents quartiers de la ville de Gaza, incapable de couvrir les frais de carburant. Le litre d’essence peut atteindre 100 dollars (soit environ 91 euros) en raison de la pénurie. Pour rendre compte du siège, ce professionnel se base donc sur les informations communiquées par les secours, la défense civile et les directeurs d’hôpitaux, ainsi que sur des sources civiles.
Alors que la chaîne qatarienne Al Jazeera constitue le seul média international à consacrer l’essentiel de ses programmes à la guerre à Gaza, ses correspondants déployés en différents points de l’enclave palestinienne ont pour consigne de ne pas se rendre au nord de la ville de Gaza, indique à RSF une source au sein du média. “Nous recevons des informations et des images, mais pour nos employés, c’est non”, précise-t-il. Et pour cause, Al Jazeera craint pour ses équipes. Cible revendiquée de l’armée israélienne, la chaîne a déjà vu quatre de ses journalistes tués depuis le début du conflit. Il y a quelques semaines, six de ses correspondants palestiniens ont été également accusés de terrorisme. Deux de ses journalistes, Ali al-Attar et Fadi Alwahidi, sont toujours à l'hôpital dans un état critique nécessitant d'urgence une évacuation médicale pour sauver leur vie.
Depuis le 7 octobre 2023, plus de 140 journalistes ont été tués à Gaza par l’armée israélienne, selon le décompte réalisé par RSF, dont au moins 34 dans le cadre de leur travail.