RSF demande au Parlement britannique d’amender le projet qui étend les pouvoirs de surveillance de la police
Reporters sans frontières (RSF) s’inquiète des conséquences d’une loi proposée par Theresa May, autorisant la police et les services de renseignement à intercepter, recueillir et conserver les données de communication de dizaines de millions d’utilisateurs, dont des journalistes, des lanceurs d’alerte et leurs sources. Le débat sur le projet de loi reprend au Parlement britannique le 5 septembre 2016.
S’il est adopté, ce projet de loi autorisera les "pouvoirs publics compétents" à obtenir les données de communication de journalistes dans le but d'identifier ou de confirmer l'identité de sources anonymes.
Cette disposition est d'autant plus grave qu'elle ne sera pas systématiquement assortie de préavis aux journalistes dont les données de communication ou les appareils seront saisis.
Ces derniers, espionnés à leur insu, ne pourront donc ni s’opposer à la procédure en cours, ni défendre le besoin d’anonymat de leurs sources. Incapables de rendre compte de ce qu’ils ignorent, les journalistes ne pourront pas faire état des ces pratiques opaques et dangereuses.
Cette autorisation d’espionnage par les services de police repose sur l'obtention d'un mandat (les services de renseignements n'en auront pas besoin), délivré par un Judicial Commissioner. Ce dernier, nommé par le Premier Ministre, n’aura qu’à invoquer un “intérêt public supérieur” au besoin de préserver l’anonymat d’une source pour délivrer un mandat autorisant la saisie de données de communications de journalistes. Ceci laisse une grande liberté d’interprétation au Judicial Commissioner qui, seul, pourra décider de saisir les données de communication de journalistes, même dans le cadre d’enquêtes mineures.
Début mars, le Rapporteur Spécial à l’ONU pour la vie privée, Joseph Cannataci, avait averti des “conséquences dangereuses et possiblement inattendues d’une interception massive des données de communication et du hacking à grande échelle”. Il avait aussi prévenu que l’adoption de cette loi créerait un dangereux précédent pour d’autres démocraties dans le monde, qui verraient dans le passage du Investigatory Powers Bill (IPB) une justification légale de pratiques d’espionnage des journalistes. Roy Greenslade, journaliste médias au quotidien The Guardian, a dénoncé le danger que représenterait cette loi pour les sources qui, par crainte de voir leur identité révélée, ne se tourneraient plus vers les journalistes et les lanceurs d’alerte pour divulguer des informations.
Le journalisme d’investigation dépend directement de la sécurité et, souvent, de l’anonymat de certains informateurs. Leur retirer serait signer l’arrêt de mort d’un certain journalisme d’enquête qui vise à exposer au grand jour ce que certains voudraient maintenir caché.
“RSF appelle les membres du Parlement britannique à rejeter l’adoption du texte en son état actuel. Il est impératif que soient proposés des amendements garantissant des protections spécifiques aux professionnels de l’information et à leurs sources, déclare Pauline Adès-Mevel, responsable du bureau Europe à RSF. La collecte et l’analyse des données de communication des journalistes doivent rester des solutions de dernier ressort et doivent être parfaitement transparentes: la loi doit prévoir que les journalistes soient alertés lorsque leurs données sont recueillies. Enfin, “intérêt public supérieur’ est une notion beaucoup trop vague: la loi doit préciser plus clairement le champ d’intervention du Judicial Commissioner.”
La collecte des données de communication des journalistes, des lanceurs d’alerte et de leurs sources – et plus particulièrement la capacité qu’auront les autorités de localiser leurs appareils – menacerait également l’intégrité physique de ceux travaillant dans des zones sensibles et ne voulant pas risquer d’être identifiés.
Le IPB est destiné à remplacer le Regulation of Investigatory Powers Act (RIPA). S’il est approuvé par les Lords, l’ensemble du Parlement britannique débattra alors d’éventuels amendements. La loi doit entrer en vigueur le 1er janvier 2017.
Le Royaume-Uni occupe la 38e place sur 180 au Classement 2016 sur la liberté de la presse établi par RSF.