Royaume-Uni : le journalisme indépendant mis en danger par deux affaires judiciaires
Reporters sans frontières (RSF) exprime son inquiétude devant les entraves au journalisme indépendant résultant de deux récentes affaires judiciaires relatives à l’abus d’informations privées et à la protection des sources. En outre, celles-ci s’inscrivent dans un contexte plus large de restrictions juridiques croissantes à l’égard des médias et pourraient contribuer à accentuer la dégradation de la liberté de la presse au Royaume-Uni. RSF appelle les tribunaux à ne pas jalonner le journalisme d’obstacles inutiles.
La Haute Cour a, le 16 février dernier, condamné le groupe financier Bloomberg LP dans une affaire relative à l’abus d’informations privées, en statuant qu’un individu faisant l’objet d’une enquête pénale ne peut être nommé dans les médias avant d’avoir été jugé coupable. En dépit d’un intérêt public considérable, la Cour a décidé d’accorder la préférence au droit à la vie privée plutôt qu’au droit à l’information du public – une décision qui aura pour conséquence de limiter la capacité des journalistes à enquêter sur des entreprises ou des personnes. Le rédacteur en chef de Bloomberg, John Micklethwaith, a réagi au jugement en avertissant que la décision de la Cour « est à même d’effrayer tout journaliste digne de ce nom en Angleterre ».
La semaine suivante, le journaliste et ancien député Chris Mullin a été amené à comparaître à la demande de la police des West Midlands pour divulgation des sources. Dans le cadre d’une action engagée en vertu de la loi sur le terrorisme de 2000, la police a demandé à Chris Mullin de divulguer les sources de son enquête sur les attentats des pubs de Birmingham, en 1974. Un homme impliqué dans ces attaques à la bombe, identifié par la cour sous les initiales AB, aurait « tout avoué » au journaliste.
"Affaires liées au terrorisme"
Entendu à l’Old Bailey (jurididiction criminelle du Grand Londres) le 25 février dernier, Chris Mullin a argué que cette affaire "pourrait être utilisée pour saper la liberté des journalistes d’enquêter sur des erreurs judiciaires présumées et d’autres aspects d’affaires liées au terrorisme". Le journaliste a refusé de livrer des informations sur ses sources. La décision de la cour est attendue dans les prochaines semaines.
"Enquêter sur les affaires criminelles et assurer la protection des sources sont deux composantes essentielles du journalisme, et toute tentative d’interférence doit être prise très au sérieux, déclare la chargée de campagnes de RSF au Royaume-Uni, Azzurra Moores. Ces affaires sont d’autant plus inquiétantes dans le contexte plus général des restrictions à la liberté de la presse à travers des actions légales régressives. Nous exhortons les tribunaux à ne pas exercer d’entraves inutiles au journalisme, conformément aux obligations du Royaume-Uni en matière de liberté de la presse."
Avant l’audience du 25 février, la police des West Midlands avait tenté d’interdire aux journalistes d’y assister. Faisant valoir que la nécessité de protéger la vie privée des suspects suivait le récent jugement de l’affaire Bloomberg, elle avançait que la procédure devait se tenir à huis-clos. Cette demande n’a pas été retenue, et les journalistes ont pu assister à l’audience et la couvrir.
Vie privée et lois anti-terrorisme
L’usage de la vie privée et des lois anti-terrorisme ont été couramment utilisés par les tribunaux britanniques pour restreindre le journalisme. En 2011, la Cour européenne des droits humains a rendu une décision historique contre un procès pour atteinte à la vie privée intenté par l’avocat Max Mosley, qui a tenté d’imposer une obligation de notification préalable aux journaux dès lors qu’ils traitaient de la vie privée des personnes. La CEDH a estimé qu’une telle aurait un "effet paralysant" sur les médias.
Le Royaume-Uni occupe la 33e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.