Répression sans limites au Nakhitchevan
Organisation :
“Alors qu’intimidations et menaces de mort pleuvent contre les journalistes, les autorités provinciales du Nakhitchevan font preuve d’une inventivité exceptionnelle pour élargir leur palette, déjà très complète, de moyens de répressions. Expulser un journaliste de son propre pays, et qui plus est vers un Etat criminalisant sa profession: leur dernière trouvaille témoigne autant de leur mépris absolu de toute apparence légale, que de leur sentiment d’impunité totale”, a déclaré Reporters sans frontières. “Jusqu’où faudra-t-il aller pour que les autorités centrales de Bakou et la communauté internationale se décident à stopper cette escalade?”
Le 31 août 2011, le correspondant de Radio Free Europe/ Radio Liberty (RFE/RL), Yafez Hasanov (Яфез Xасанов), a été enlevé par trois hommes non-identifiés qui l’ont conduit jusqu’à la frontière iranienne et l’ont sommé de regagner Bakou via l’Iran. Non sans lui avoir assuré qu’”il lui en coûterait” s’il s’avisait de remettre les pieds au Nakhitchevan avant un mois. Bien qu’habillés en civil, les trois hommes circulaient dans un type de véhicule habituellement utilisé par les agents de sécurité gouvernementaux. Le reporter était venu dans la région de Julfa pour enquêter sur la mort en détention de Turac Zeynalov (voir ci-dessous), un sujet témoignant de la cruauté du régime et que les autorités locales essaient par tous les moyens de censurer. Ses ravisseurs ont d’ailleurs intimé l’ordre à Yafez Hasanov de ne pas s’en mêler. Ils lui ont retiré son passeport et ne lui ont rendu qu’à la frontière, portant un tampon de sortie du territoire. Une fois en Iran, le journaliste a réussi à prendre un taxi pour regagner Bakou le lendemain. Courant ainsi un risque certain, dans la mesure où RFE/RL est une “organisation illégale” dans ce pays.
Convoquée au ministère de la Sécurité nationale (MNS) pour avoir tenté d’interviewer les membres de la famille Zeynalov, la correspondante de l’agence indépendante Turan, Malahat Nasibova (Малахат Насибовa - voir ci-dessous), fait depuis lors l’objet d’intenses pressions. Elle et son mari ont reçu de nombreuses menaces de mort par téléphone ou par SMS ces derniers jours. Traitée d’”ennemie du peuple” par un officier du MNS, la journaliste a en outre été prise à partie par la mère de ce dernier pour avoir relaté l’incident: “Qui es-tu pour citer le nom de mon fils sur Internet? Tu vas voir ce que je vais te faire. Tu ne peux rien contre nous. Le MNS nous soutient”, a-t-elle menacé le 5 septembre, devant le domicile de la journaliste.
Lors d’une conférence de presse tenue le 2 septembre 2011, Malahat Nasibova a souligné que la république autonome était un “laboratoire de la répression” en Azerbaïdjan. “Les méthodes répressives ‘testées’ au Nakhitchevan ont ensuite été appliquées à grande échelle dans l’ensemble de l’Azerbaïdjan. (...) C’est au Nakhitchevan que des manifestants ont pour la première fois été confinés en hôpital psychiatrique; c’est là que des journalistes ont été enlevés pour la première fois”. Ce commentaire éclaire d’un jour nouveau le silence assourdissant de Bakou quant aux exactions perpétrées dans sa lointaine province. Et il rend d’autant plus urgente une réaction internationale, avant que le pire ne se banalise dans l’ensemble du pays.
Reporters sans frontières se joint à Malahat Nasibova et aux autres journalistes et défenseurs des droits de l’homme du Nakhitchevan, pour demander aux médias nationaux et aux ambassadeurs étrangers de se rendre sur place pour rendre compte de la situation et exposer au grand jour ces pratiques inacceptables.
(Photo: Contact.az)
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30.08.2011 - Black-out sur la mort d’un détenu dans une province azerbaïdjanaise : « Le Nakhitchevan est une zone de non-droit »
« Après avoir éliminé la quasi-totalité des sources d’information, les services de sécurité du Nakhitchevan se livrent en toute impunité à des exactions intolérables, a déclaré Reporters sans frontières. Les quelques journalistes indépendants subsistant sur place se trouvent sous forte pression. La mort en détention d’un citoyen arrêté la veille et la disparition de quatre autres personnes, constituent un test pour les autorités centrales azerbaïdjanaises, signataire de la Déclaration universelle des droits de l’homme et parties au Conseil de l’Europe et à l’OSCE. Si Bakou veut montrer qu’il est souverain sur cette partie du pays et respectueux de ses engagements internationaux, il doit immédiatement permettre à la presse de travailler et remettre au pas des autorités provinciales qui s’enfoncent dans une dérive autoritaire toujours plus violente ».
Journalistes pris à partie, convocations par les services de sécurité, mur du silence… Les autorités du Nakhitchevan tentent de mettre en place un blocus de l’information concernant le décès en détention d’un habitant du village d’Arazin (district de Julfa), Turac Zeynalov.
Alors qu’ils interviewaient les membres de la famille Zeynalov, des journalistes ont été pris à partie par des officiers du MNS (Ministère de la sécurité nationale), qui ont tenté de saisir leurs caméras et microphones. La correspondante de l’agence de presse indépendante Turan, Malahat Nasibova, s’est fait insulter par un agent qui l’a accusé de collaborer avec les « ennemis de la nation ». La journaliste a ensuite été convoquée au MNS, mais elle a refusé de s’y rendre. Reporters sans frontières se déclare inquiète quant à sa sécurité.
Le 24 août 2011, Turac Zeynalov a été convoqué par le MNS. Sans nouvelles de lui, ses proches se sont rendus le lendemain dans les locaux du ministère où ils n’ont trouvé que son corps, portant des traces de tortures d’une grande violence, notamment au visage. Les officiers auraient reconnu l’avoir « giflé une ou deux fois, pour lui apprendre », mais dans son communiqué officiel, le MNS affirme que Turac Zeynalov est décédé « des suites d’un cancer ». La famille n’a pour l’heure reçu aucun document médical attestant des causes de son décès, et toutes ses demandes d’explication se sont heurtées au silence des autorités.
D’après le MNS, Turac Zeynalov se serait rendu coupable d’espionnage au profit de l’Iran, un crime de « haute trahison ». Aucune preuve n’a été produite et les autorités locales se refusent à tout autre commentaire, mettant même en garde contre les « rumeurs ». De son côté, le ministère de l’Intérieur azerbaïdjanais à Bakou a répondu aux journalistes que « Bakou ne pouvait interférer dans les affaires du Nakhitchevan ». D’après l’agence Turan, on serait sans nouvelles de quatre autres jeunes hommes récemment convoqués au MNS.
Le regain de tension entre l’Azerbaïdjan et son voisin iranien n’est que le dernier prétexte en date pour justifier la répression dans la république autonome du Nakhitchevan, où la pression sur les journalistes s’est récemment accrue. Tortures, envoi en hôpital psychiatrique et détention arbitraire sont choses fréquentes dans ce territoire azerbaïdjanais, séparé du reste du pays par l’Arménie.
Publié le
Updated on
20.01.2016