Lutter contre les ingérences étrangères dans le champ de l’information : les recommandations de RSF à l’UE
Les politiques de lutte contre les ingérences étrangères sont à double tranchant pour la liberté de la presse. Afin de ne pas tomber dans le piège liberticide tendu par les prédateurs du droit à l’information fiable, Reporters sans frontières (RSF) appelle l’Union européenne (UE) à agir en adoptant cinq mesures phares pour protéger le droit à l’information et promouvoir le journalisme face à la désinformation et à la propagande.
Tout juste réélue à la tête de la Commission européenne pour un second mandat, Ursula von der Leyen a pris l’engagement de “renforcer les capacités de l’Union” face aux risques d’ingérences étrangères malveillantes. Dans le champ de l’information, ces ingérences peuvent emprunter plusieurs vecteurs parmi lesquels les cyberattaques, la transformation de médias publics en médias d’État, l'investissement intéressé au capital de médias étrangers ou encore la diffusion virale de fausses informations sur les réseaux sociaux.
Or les régimes autoritaires font de la lutte contre les ingérences étrangères la justification fallacieuse de leur politique de censure, qu’il s’agisse de l’adoption de lois sur les “agents de l’étranger” ciblant les médias indépendants en Russie, en Géorgie, ou à Hong Kong, ou de la fermeture de leur espace à des médias indépendants, aussi en Russie, en Chine ou en, Iran.
Pour les démocraties, le piège est alors de répliquer avec des moyens liberticides, et, de facto, d’accréditer l’argument de la réciprocité brandi par les gouvernements de pays autoritaires. Bien que justifiée sur le fond, la décision d’interdire de diffusion des médias de propagande Sputnik et RT (anciennement Russia Today) en 2022 souffre d’une apparence d’arbitraire, là où elle aurait dû être appréhendée comme une question de régulation des médias et confiée à une autorité indépendante.
Un programme démocratique de lutte contre les ingérences étrangères malveillantes dans le domaine de l’information est autant souhaitable que possible. Il passe par une meilleure régulation des plateformes numériques, un renforcement de la compétence des régulateurs nationaux de médias et un soutien plus actif aux médias d’information fiable.
“Révéler, protéger, promouvoir sont les trois axes d’action phares pour lutter contre les ingérences étrangères dans le domaine de l’information. Les démocraties sont tenues à une double exigence d’efficacité et d’exemplarité en matière de lutte contre la désinformation et la propagande : reconnaître que des ingérences étrangères malveillantes existent, les révéler et les combattre, tout en s’abstenant de répliquer avec les mêmes moyens que l’adversaire. Pour cela, RSF appelle l’Union européenne à privilégier la promotion et le soutien au journalisme fiable et indépendant, antidote efficace pour révéler et démystifier, avant qu’il ne soit trop tard, ces campagnes de déstabilisation.
Dans son discours de candidate à la présidence de la Commission européenne, Ursula von der Leyen a proposé la création d’un Viginum européen – Viginum étant actuellement le service technique et opérationnel de l'État français chargé de la vigilance et de la protection contre les ingérences numériques étrangères. Cette instance aurait pour objectif de coordonner la détection des opérations d’ingérences étrangères malveillantes dans tous les États membres. Révéler la désinformation des régimes autoritaires est un premier pas louable et nécessaire, mais qui ne peut suffire.
Afin de se montrer à la hauteur du défi posé aux démocraties européennes, RSF propose de compléter cette proposition par les cinq mesures suivantes :
- Imposer aux très grandes plateformes numériques une obligation de promotion des sources fiables d’information, identifiées comme telles sur la base d’un système comme la Journalism Trust Initiative (JTI) – une certification internationale qui valorise et avantage le journalisme digne de confiance ;
- Assurer que les mêmes règles de pluralisme et d’intégrité de l’information s’appliquent, au sein de l’UE, à tous les médias audiovisuels indépendamment de leur mode de diffusion et de leur pays d’origine ; et, pour cela, renforcer le rôle des régulateurs nationaux ;
- Mettre en place un mécanisme de protection de l’espace informationnel aux frontières de l’UE fondé sur une clause de réciprocité vis-à-vis des pays tiers ;
- Soutenir la résilience et la reprise d’activités dans l’UE des médias et des journalistes indépendants qui ont fui leur pays d’origine en raison d’une répression liée à leur activité ;
- Accroître l’audience des sources fiables d’information dans les pays dirigés par des autorités répressives en matière de liberté de la presse.