Quatre ans de prison pour Grigory Pasko : Une mise en garde pour tous les journalistes russes
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Pour avoir dénoncé le déversement de déchets radioactifs par la flotte russe, Grigory Pasko a écopé de quatre ans de prison. La pollution nucléaire provoquée par la flotte militaire russe en mer du Japon, est un enjeu bien trop grave pour que Moscou laisse les médias s'y intéresser de trop près.
Plutôt que de traiter la menace écologique qui préoccupe les voisins de la Russie, il s'agit, avant tout, de faire taire la presse.
Du fond d'une colonie pénitentiaire de l'Extrême-Orient russe, Grigory Pasko le sait : son incarcération est une mise en garde pour tous les journalistes. L'armée fait payer un lourd tribut à ceux qui osent la mettre en cause.
Déjà incarcéré pendant vingt mois, de 1997 à 1999, avant même d'être jugé, Grigory Pasko est à nouveau derrière les barreaux depuis décembre 2001. Pour les mêmes faits : avoir longuement enquêté et écrit des centaines d'articles sur la pollution due au quasi-abandon, avec la complicité du FSB (ex-KGB), des sous-marins nucléaires de l'armée russe et avoir rendu publiques des images de déversement de déchets radioactifs liquides par la flotte russe en mer du Japon. Ces images, filmées alors qu'il était correspondant pour le journal militaire Boevaya Vakhta et diffusées par la télévision japonaise NHK, avaient suscité de vives réactions internationales. Des faits qualifiés d'"espionnage" et de "haute trahison" pour le FSB, qui l'a fait condamner en 2001 par le tribunal militaire de Vladivostok. A Moscou, en juin 2002, la Cour suprême a confirmé sa peine de quatre ans de prison ferme. La plupart des recours sont à présent épuisés et Grigory Pasko est toujours en prison, en lieu et place des responsables de la pollution criminelle qu'il dénonçait.
Des conditions de détention difficiles
Détenu à la maison d'arrêt de Vladivostok entre décembre 2001 et septembre 2002 dans une cellule isolée, froide, sans lumière ni électricité, Grigory Pasko est tombé malade. Suite à des protestations, une vitre de verre a été posée et le journaliste n'a plus souffert du froid. Il a également pu faire réchauffer de la nourriture et avoir accès à la télévision. Le 10 septembre 2002, il a été transféré en colonie pénitentiaire, où les conditions de détention sont, a priori, meilleures qu'en cellule isolée.
D'après Galina Morozova, sa femme, les prisonniers de la maison d'arrêt ont prévenu le journaliste que tout y serait mis en œuvre par le FSB pour qu'il ne bénéficie pas de la remise de peine pour bonne conduite à laquelle tout prisonnier a droit aux deux tiers de sa peine (en l'occurrence au 25 décembre 2002). Sa femme n'a le droit de le voir que tous les trois mois.
Fin octobre 2002, le président du Pen Club de Russie, Alexandre Tkatchenko, a pu rendre visite au journaliste et constater que son état de santé n'était pas très bon.
Fin novembre, Ivan Pavlov, son avocat, l'a également rencontré. Grigory Pasko continue à écrire pour un magazine écologique, Ekologiya i pravo, et aide ses codétenus à se défendre juridiquement. Un des appels qu'il a rédigés a permis à l'un d'entre eux d'obtenir une réduction de peine de deux ans. Pasko ne cherche pas pour autant à obtenir des conditions de détention plus faciles. Sa journée commence à 6 h 30 du matin, comme pour les 123 autres détenus avec lesquels il doit partager trois trous au sol et trois robinets d'eau froide en guise de sanitaires. Dès le réveil et malgré ses douleurs au dos, il doit faire une heure d'exercices physiques dans le froid humide caractéristique de l'Extrême-Orient russe. Puis, de 7 h 30 à 18 heures, six jours par semaine, il fabrique des portes dans un atelier de menuiserie.
La reprise en main des médias russes par Vladimir Poutine
La décision de la Cour suprême de confirmer la peine de prison ferme de Grigory Pasko est intervenue dans un contexte de reprise en main des médias par Vladimir Poutine. On l'a encore vu aux lendemains de la prise d'otages dans un théâtre de Moscou avec le vote par la Douma d'un amendement à la loi antiterroriste qui restreignait considérablement la liberté des médias dans le pays et qui laissait présager une aggravation de la censure qui entoure, depuis de nombreuses années, le conflit tchétchène. Il prévoyait d'interdire aux médias de diffuser des informations "empêchant la conduite d'une opération antiterroriste", ou visant à "faire la propagande de l'opposition à une telle opération ou à justifier cette opposition". Sa formulation floue autorisait le pouvoir à poursuivre n'importe quel journaliste ou média qui parlerait de terrorisme ou de la Tchétchénie. Sous la pression internationale, le président russe a finalement opposé son veto à ce texte… demandant aux parlementaires de le reformuler.
Déjà, en janvier 2000, le Kremlin avait créé un poste de coordinateur des médias pour la Tchétchénie ainsi qu'un centre de presse chargé de diffuser l'information officielle et d'organiser des voyages dans la zone de guerre, sous étroite surveillance d'officiers russes. Au cours de l'année suivante, le ministère russe de l'Information a interdit aux médias de rapporter les propos des principaux leaders tchétchènes, dont le président Aslan Maskhadov. En cas de non-respect de cette règle, le ministère de l'Information menace de retirer, après deux avertissements, la licence du média en faute et de suspendre, voire d'interdire, sa diffusion en Russie. Les organes de presse étrangers connaissent parallèlement des difficultés croissantes à exercer leur activité. Les accréditations pour la Tchétchénie sont, dans les faits, quasi impossibles à obtenir. Il est par ailleurs interdit aux rares journalistes accrédités de se déplacer en Tchétchénie sans être accompagnés d'un officier du service de presse du ministère de l'Intérieur.
Autre volet de cette mainmise sur l'information par les hommes du président Poutine : la prise de contrôle en 2001 de la chaîne de télévision NTV par l'Etat russe, à travers la compagnie d'Etat Gazprom. Les autorités russes ont, à plusieurs reprises, rappelé leur intention de mieux maîtriser le "secteur stratégique" de l'information. Annoncée et théorisée dans la "doctrine sur la sécurité de l'information" approuvée par le président Poutine en septembre 2000, cette politique de "renforcement des médias d'Etat" en charge de "la diffusion d'une information fiable aux citoyens russes" a été mise en œuvre de façon systématique. L'épreuve de force mise en scène par les pouvoirs publics russes avec les "oligarques" du secteur de l'information, s'est ainsi soldée par la prise de contrôle pure et simple par l'Etat de la seule chaîne privée d'audience nationale, NTV, et, dans la foulée, de la chaîne de télévision semi-publique ORT qui disposait de la plus forte audience sur tout le territoire de la Fédération de Russie. Les parts de Boris Berezovski dans le capital de cette chaîne de télévision ont été achetées par le groupe pétrolier Sibneft, une entreprise publique, la faisant passer sous le contrôle de l'Etat. L'ancienne chaîne de télévision de l'Union soviétique, partiellement privatisée en 1993, et qui s'était montrée particulièrement critique envers le président Poutine au moment de l'affaire du sous-marin Koursk, a ainsi rejoint la chaîne publique RTR, sous tutelle complète de l'Etat.
La politique de reprise en mains des grands médias privés russes, orchestrée par l'Etat au travers des compagnies énergétiques, a atteint ses objectifs. Vladimir Poutine n'avait-il pas déclaré que "la Russie considère le domaine de l'information avec une plus grande attention en raison de l'instabilité du système politique" et ajouté, quelques semaines plus tard, que "si tel ou tel organe, ou média, s'attache exclusivement à servir les intérêts d'oligarques dont la fortune vient d'opérations obscures, cela n'a plus rien à voir avec la liberté de la presse". Il a réussi : aujourd'hui tous les grands médias audiovisuels sont contrôlés par le Kremlin.
La liberté de parole, l'acquis le plus spectaculaire dans la nouvelle Russie, fait aujourd'hui pratiquement partie du passé. « Le terme même de démocrate est devenu une injure », résume Sergueï Kovalev, militant des droits de l'homme et ancien dissident soviétique. Année après année, des journalistes sont assassinés, certains pour leurs activités professionnelles, d'autres sans que l'on sache vraiment pourquoi. Cette "liberté" et cette "démocratie" s'avèrent des réalités encore plus relatives dans certaines régions ou dans des "Républiques autonomes" qui fonctionnent plus comme des "PME gérées par un patron tyrannique" que comme de véritables Etats de droit, selon l'expression d'un correspondant étranger. Les agressions, voire l'élimination physique, et les menaces à l'encontre des journalistes sont fréquentes et attirent peu l'attention de la communauté internationale. Si les enlèvements de journalistes en Tchétchénie ont cessé, c'est que les journalistes n'y vont plus craignant trop pour leur sécurité. Sous l'emprise des milices locales et des groupes mafieux, c'est toute la région du Caucase qui s'est transformée en une zone de non-droit.
Le Prix Reporters sans frontières - Fondation de France : un nouvel espoir pour Grigory Pasko ?
Aujourd'hui, Grigory Pasko est toujours emprisonné. Il est plus que jamais nécessaire de ne pas l'oublier et de le faire savoir aux autorités russes. C'est tout le sens de ce prix Reporters sans frontières - Fondation de France. Un prix qui a prouvé son efficacité : son dernier lauréat, le journaliste iranien Reza Alijani, a été libéré quelques semaines après avoir été récompensé. Avant lui, d'autres journalistes récompensés avaient également recouvré leur liberté. C'est maintenant l'espoir de Galina Morozova, l'épouse de Grigory Pasko, qui, le 10 décembre, s'est rendue spécialement de Vladivostok à Paris pour représenter son mari et recevoir en son nom le prix Reporters sans frontières - Fondation de France.
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Updated on
20.01.2016