Pourquoi la Suède n’a pas réussi à rapatrier Dawit Isaak, prisonnier de conscience en Erythrée depuis 2001
Une semaine après avoir déposé plainte pour crime contre l’humanité, Reporters sans frontières (RSF) publie, le jour des 56 ans du journaliste Dawit Isaak incarcéré en Erythrée, un rapport accablant sur le manque d’efforts de la Suède pour obtenir la libération de son ressortissant.
Le journaliste d’origine érythréenne Dawit Isaak, qui a acquis la nationalité suédoise en 1992, a été arrêté à Asmara, capitale de l’Erythrée, le 23 septembre 2001, alors qu’aucune charge ne pesait sur lui. Marié et père de trois enfants, il était alors âgé de 36 ans. Il est depuis incarcéré, sans jamais avoir été ni jugé, ni condamné. A partir de 2005, aucun tiers, et donc aucun diplomate suédois, n’a été autorisé à le voir pour confirmer qu’il était encore en vie. N’ayant pas eu l’occasion de se défendre devant la justice, il est probable que le reporter ne soit même pas au courant des chefs d’accusation portés contre lui. Sa fille, Bethelem Isaak, âgée aujourd'hui de 26 ans, reste en tout cas convaincue qu’il est toujours vivant.
Le rapport de RSF Suède publié ce 27 octobre, jour de l’anniversaire de Dawit Isaak, révèle le manque d'efforts du gouvernement suédois pour obtenir la libération du journaliste. Intitulé Prisoner of Conscience since 2001 – Why has Sweden not Managed to Bring Dawit Isaak Home? (Prisonnier de conscience depuis 2001 : pourquoi la Suède n’a pas réussi à rapatrier Dawit Isaak), il rend compte de l’action - ou plutôt de l’inaction - de l’Etat suédois pour obtenir des avancées concrètes dans ce dossier, alors que le pays a pour obligation d’utiliser tous les moyens légaux et diplomatiques possibles pour rapatrier ses citoyens.
“D’autres pays ont été plus fermes dans leurs déclarations et mesures prises contre le régime érythréen, même si, de fait, c’est la Suède qui a un prisonnier de conscience en Erythrée”, affirme dans le rapport Björn Tunbäck, membre du conseil d’administration de RSF Suède.
L’affaire Dawit Isaak dure depuis près de vingt ans. Malgré l’intérêt suscité par ce cas, les documents afférents sont classifiés, et les autorités commentent avec toujours beaucoup de réticences les actions en cours. En conséquence et pour obtenir des avancées concrètes, le 21 octobre dernier, RSF a déposé, auprès du procureur suédois, une plainte contre le président érythréen pour crime contre l’humanité et présenté une requête d’enquête parlementaire pour examiner l’action du ministère suédois des Affaires étrangères en vue d’obtenir la libération de Dawit Isaak. Celle-ci permettrait de savoir si Stockholm a bien rempli son obligation légale à l’égard de son citoyen emprisonné et de faire des recommandations sur les prochaines étapes nécessaires au rapatriement du journaliste.
“Nous nous félicitons de la proposition d’enquête parlementaire qui a été récemment présentée au Parlement suédois et appelons au soutien de tous les députés. Nous demandons également à la Commission européenne de prendre en compte la résolution adoptée par le Parlement européen de durcir les mesures contre l’Erythrée. Trop, c’est trop”, déclare le président de RSF Suède, Erik Halkjaer.
Les responsables érythréens ont sporadiquement donné de faux espoirs de libération au ministère des Affaires étrangères suédois, obligeant ses fonctionnaires à faire preuve de subtilité. Soucieuse de ne pas compromettre une potentielle remise en liberté du reporter, la Suède s’est pliée aux dictats de l’Erythrée. Le rapport conclut qu’Asmara a tiré profit à la fois politiquement et financièrement du maintien du journaliste en prison.
Le rapport de la section suédoise détaille notamment comment :
- la Suède s’est abstenue à plusieurs reprises de faire part de ses exigences en ce qui concerne Dawit Isaak quand l’Union européenne prenait des décisions sur l’attribution de l’aide au développement à l’Erythrée ;
- le procureur général de Suède a par deux fois décidé de ne pas ouvrir une enquête criminelle contre le président érythréen Isaias Afwerki, conformément à la position du ministère des Affaires étrangères suédois ;
- le ministère des Affaires étrangères a conseillé à l'agence suédoise pour la coopération internationale de développement (Sida) de ne pas fournir d’aide financière à Radio Erena, la seule radio indépendante d’Erythrée, qui émet depuis la France ;
- contrairement à d’autres pays, la Suède n’a pas tenu compte de l’appel de l’ONU à freiner la collecte des impôts, par le régime érythréen, des Erythréens résidant à l’étranger ;
- au Conseil de sécurité de l’ONU, la Suède s’est employée à faire lever les sanctions contre l’Erythrée.
L’Erythrée est classée 178e sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2020.
La version anglaise du rapport Prisoner of Conscience since 2001 – Why has Sweden not Managed to Bring Dawit Isaak Home? est accessible ici.