PJL principes républicains : “Mesdames et Messieurs les parlementaires, ne donnez pas aux patrons de plateformes le statut de rédacteurs en chefs”
La version du projet de loi sur les principes républicains adoptée en première lecture au Sénat le 12 avril fait peser sur les plateformes la responsabilité générale et directe des contenus qu’elles distribuent. Elle aurait un effet pervers évident : transformer les plateformes en éditeurs ou en rédacteurs en chef, libres de choisir leurs lignes éditoriales. Reporters sans frontières (RSF) appelle la Commission mixte paritaire, qui doit examiner le texte, à rejeter cette disposition simpliste et dangereuse.
Un amendement au projet de loi sur les principes républicains, adopté par le Sénat le 12 avril, prévoit de transformer les grandes plateformes numériques en éditeurs, c’est-à-dire de les rendre responsables des contenus diffusés par leur intermédiaire sur le modèle de la responsabilité des médias. Au terme de l’article 19 bis du projet de loi, les plateformes numériques seraient “civilement et pénalement responsables des informations” diffusées sur leurs services, dès lors qu’elles opèrent sur ces contenus un traitement algorithmique “afin de classer, ordonner, promouvoir, recommander, amplifier, ou modifier de manière similaire la diffusion ou l’affichage de ces informations”.
Reporters sans frontières (RSF) considère que des obligations importantes doivent être imposées aux plateformes, mais d’un autre type que celles des médias. C’est l’objet de l’Initiative sur l’information et la démocratie, initiée par RSF, qui vise à définir les responsabilités des “entités structurantes” que sont les plateformes et les réseaux sociaux, qui créent les normes et les architectures de choix de l’espace digital. Un partenariat international sur l’information et la démocratie, lancé en marge de l’Assemblée générale des Nations unies, a été signé par 42 pays, largement grâce au soutien de la France.
Contre l’avis du gouvernement et des rapporteurs du projet de loi, et à rebours de la logique des futurs Digital Services Act (DSA) et Digital Markets Act (DMA) européens, les sénateurs ont entrepris de donner aux plateformes le pouvoir de décider quels contenus peuvent être diffusés par leur intermédiaire, et transformerait ainsi leurs dirigeants en rédacteur en chef de l’espace public numérique. Dès lors qu’une plateforme serait responsable des contenus en général, elle serait fondée à faire des choix éditoriaux.
Le projet de loi sur les principes républicains, maintenant adopté par les Sénateurs, doit à présent être examiné par une Commission mixte paritaire (CMP) de l’Assemblée et du Sénat.
“Confondre les plateformes numériques et les médias est une aberration difficilement compréhensible, dénonce le secrétaire général de RSF, Christophe Deloire. Les sénateurs ne semblent pas avoir mesuré la portée de l’amendement qu’ils ont voté. Il convient d’imposer aux plateformes le respect de certains principes, mais l’amendement aurait pour effet de donner à des sociétés privées un pouvoir dément au regard de leur audience. De la même manière qu’un journal décide librement, selon ses choix éditoriaux, de publier ou non un article, Facebook, Twitter ou Google pourraient demain censurer librement n’importe quelle information, ou au contraire favoriser comme ils l’entendent telle ou telle opinion. Mesdames et Messieurs les parlementaires, ne confiez pas un tel pouvoir aux plateformes, ne faites pas de leurs patrons des rédacteurs en chef à l’influence mondiale.”
RSF a formulé des recommandations pour le Digital Services Act (DSA) et le Digital Markets Act (DMA). Il est essentiel de renforcer la responsabilité des plateformes, pas en tant qu’éditeurs, sur les contenus, mais en tant qu’acteurs structurant l’espace public. Leur responsabilité doit porter sur les points suivants : transparence de leur activité, transparence de leurs algorithmes, neutralité politique et idéologique, absence de conflits d’intérêt, obligation de vigilance, alignement des règles de modération sur le droit international de la liberté d’expression, respect de la liberté d’expression des utilisateurs, et respect de leur liberté d’opinion (par la mise en place d’outils à même de favoriser la fiabilité de l’information en ligne). C’était la logique de l’article 19 du projet de loi que RSF avait saluée - en soulignant les insuffisances des obligations imposées. La CMP doit revenir à cette logique.
La France se situe sur la 34e place au Classement mondial de la liberté de la presse de RSF.