Pakistan : le rédacteur en chef du groupe Jang jeté en prison
Le rédacteur en chef du groupe de presse Jang, Shakil-ur-Rahman, vient d’être arrêté au motif fallacieux qu’il aurait illégalement acheté un terrain il y a près de 35 ans. Face à ce qui est clairement un acte d’intimidation destiné à l’ensemble des journalistes du groupe, Reporters sans frontières (RSF) exige sa libération immédiate.
Mir Shakil-ur-Rahman a été arrêté aujourd’hui, jeudi 12 mars à Lahore, dans l’est du Pakistan, au terme d’une audience tenue devant le Bureau national de responsabilité (National Accountability Bureau, NAB), une agence gouvernementale censée traiter les affaires de corruption.
Dans un acte d’accusation émis le 28 février, dont RSF s’est procuré une copie, le NAB reproche au journaliste d’avoir illégalement acheté, en 1986, un terrain qui lui aurait été “cédé par le Premier ministre du Pendjab de l’époque, Mian Nawaz Sharif, en violation des lois et des régulations en vigueur”.
Ce n’est pas la première fois que le NAB porte cette nébuleuse accusation vieille de 34 ans, à laquelle Shakil-ur-Rahman avait déjà répondu lors d’une première audience tenue le 5 mars dernier. Il avait alors produit tous les documents de cession de propriété montrant que le terrain en question avait été acheté à un tiers relevant du droit privé, et ce en parfaite légalité.
Le groupe Jang, qui possède notamment le quotidien de référence The News et le réseau des chaîne Geo News, est dans le collimateur des autorités qui ne supportent pas que ses journalistes ne se contentent pas de répéter les récits promus par le gouvernement.
“Ne soyons pas dupes, il est clair que l’arrestation de Shakil-ur-Rahman ne repose sur rien de légal, et relève clairement du harcèlement dans le but de faire rentrer le groupe Jang dans le rang, relève Daniel Bastard responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous appelons à sa libération immédiate. Les autorités pakistanaise font décidément preuve d’une effroyable créativité pour intimider les journalistes qui essayent de faire leur travail en toute indépendance.”
Coercition
Dans la foulée de l'arrestation du rédacteur en chef, le groupe Jang a publié un communiqué qui apporte des éléments de contexte : “Pendant les 18 derniers mois, est-il expliqué, le NAB a envoyé à nos reporters, nos producteurs et nos éditeurs plus d’une dizaine de notes menaçant de fermer nos chaînes [...] en raison de nos reportages. A travers plusieurs moyens de coercition, le NAB a tenté de nous persuader d’y aller mollo, de censurer certains articles et d’en promouvoir d’autres en sa faveur, et ce au mépris d’une vérité entière.”
Par la passé, la censure pakistanaise n’a pas ménagé ses efforts pour contrôler ce que les médias du groupe Jang diffusait. Ainsi, en juillet 2019, la diffusion d’une émission politique de Geo News avait été purement et simplement coupée, en pleine interview de l’ancien président de la République Asif Ali Zardari.
Un an plus tôt, c’est la diffusion des cinq chaînes du réseau Geo TV qui avait été suspendue pendant plusieurs jours sur au moins 80% du territoire pakistanais, a priori, en représailles à des traitements trop indépendants de l’information. Aucun ordre officiel n’est venu légitimer cette coupure, mais l’armée ayant, dans chaque district, la main sur les réseaux câblés, les regards se sont rapidement tournés vers les militaires.
Dès 2014, Geo News avait déjà fait l’objet d’une campagne d’intimidation, après que l’un de ses journalistes, Hamid Mir, avait témoigné sur une tentative d’assassinat sur sa personne perpétré par l’Inter-Service Intelligence (ISI), les renseignements militaires.
Le Pakistan se situe à la 142e position sur 180 pays dans l’édition 2019 du Classement mondial de la liberté de la presse publiée par RSF.