Malaisie : la rédaction en chef de The Edge poursuivie pour des révélations de manipulations boursières
Mardi 13 septembre, une procédure en diffamation a été ouverte contre le rédacteur en chef et le conseiller de rédaction du journal d’actualité économique pour des articles révélant des opérations de manipulations boursières. Reporters sans frontières (RSF) dénonce le recours aux procédures-bâillons et demande l’abandon immédiat de ces poursuites injustifiées.
“L’utilisation des procédures-bâillons afin de dissuader les journalistes de publier des enquêtes d’intérêt général est inacceptable dénonce le bureau Asie-Pacifique de RSF. Nous demandons au procureur général adjoint Farhanah Fuad Faiz de rejeter les plaintes contre Azam Aris et Shanmugam Murugasu.”
Prévenu la veille de sa convocation, Azam Aris, ancien rédacteur en chef du journal d’actualité économique The Edge s’est retrouvé mis en examen le 13 septembre. Déféré devant deux magistrats de la cour de justice de Petaling Jaya, ville située dans la banlieue de la capitale Kuala-Lumpur, il est poursuivi dans deux affaires distinctes pour des faits de diffamation. Inculpé sur la base d’une violation de l’article 500 du Code pénal, il encourt une peine de 2 ans de réclusion criminelle et une amende, dont la somme n’est théoriquement pas limitée par le Code pénal.
L’ancien rédacteur en chef est accusé d’avoir porté atteinte à la réputation d’un homme d’affaires et de plusieurs entreprises malaisiennes. En cause : deux enquêtes financières publiées dans l’hebdomadaire en septembre 2020 et en avril 2021. La prochaine audience, pour laquelle il plaidera non-coupable, est prévue pour le 22 novembre.
Azam Aris, âgé de 61 ans, a quitté ses fonctions au sein de The Edge en 2021, mais il n’a jamais cessé sa collaboration avec l’hebdomadaire, où il officie toujours à mi-temps. Il n'est pas le seul membre du journal accusé dans ces affaires. Le conseiller de rédaction Shanmugam Murugasu est également poursuivi pour les mêmes charges, bien qu’elles soient suspendues pour le moment, car il se trouve à l’étranger. Il sera officiellement inculpé lors de son retour en Malaisie.
Révélation de manipulations boursières
Les deux articles incriminés révèlent des opérations de manipulations boursières sur le marché des penny stocks - des actions à faible valeur, mais dont l’évolution peut être exponentielle. Le premier article, paru en septembre 2020, relevait des transactions suspectes et plusieurs irrégularités dans l’évolution des cours d’une vingtaine d’entreprises à la bourse malaisienne.
Ces entreprises ont en commun d’être détenues par un groupe restreint d’hommes d’affaires, dont le premier article souligne la proximité et les soupçonne d’avoir fomenté une entente anticoncurrentielle. L’un d’entre eux est Kua Khai Shyuan, directeur exécutif du groupe DGB Asia. Auteur de la plainte en diffamation en 2021 contre The Edge, il estime que les deux publications nuisent à sa réputation et à celle de son entreprise.
Publié la semaine du 12 avril 2021, le second article approfondi l’enquête et étend le nombre d’entreprises impliquées dans ces malversations financières à une soixantaine. Les gains réalisés par ces entreprises y sont dépeints comme “incongrus” au regard de la situation du marché.
Attaque à l’acide dans une affaire semblable
Azam Aris et Shanmugam Murugasu ne sont pas les auteurs des articles pour lesquels ils sont mis en examen. Pour des raisons de sécurité, les enquêtes ont été publiées de manière anonyme. La raison ? En 2018, un officiel malaisien chargé d’enquêter sur une affaire similaire de manipulation boursière avait été attaqué à l’acide.
Dans un communiqué, le PDG du journal The Edge, Ho Kay Tat, affirme la déontologie de sa rédaction et l’intérêt public de ses enquêtes : “Nous sommes interloqués face aux accusations de la part du procureur public adjoint et de la police de Kuala Lumpur. Notre seul tort est d’avoir prévenu les investisseurs de manipulations boursières sur les marchés. D’ailleurs, après nos révélations, les autorités de régulations ont publié des avertissements et l’affolement spéculatif est retombé.”
Plus tôt cette année, RSF dénonçait la procédure-baillon intentée contre la journaliste d’investigation Lalitha Kunaratnam par la commission malaisienne contre la corruption (MACC). Également accusée de diffamation, elle n’avait pourtant fait que révéler l’existence de conflits d’intérêts au sein de la MACC.