Les médias indépendants dans la tourmente, entre coups de feu et expulsion

Reporters sans frontière est très préoccupée par le grave harcèlement dont fait l'objet Radio Shabelle de la part du Ministère de l'intérieur. Selon une lettre reçue le 20 octobre 2013 du ministère de l'Intérieur, Shabelle Media Network, l'organisation gérante de Radio Shabelle, a été sommée de quitter, sous cinq jours, les locaux qu'elle occupe. "Cette ordonnance ministérielle ne repose sur aucune base juridique précise et relève de l'arbitraire. L'expulsion de Radio Shabelle, en plus de bâillonner d'avantage la liberté d'information en Somalie, met réellement en danger la sécurité physique des journalistes et des employés de ce média dont beaucoup logent dans les locaux de la radio pour se protéger des attaques individuelles," a déclaré Reporters sans frontières. "Aujourd'hui même nous avons reçu l'information qu'un journaliste de Universal TV, Mohamed Mohamud Tima’ade, a été victime d'une attaque à l'arme à feu dans le quartier de Madina à Mogadiscio. Touché six fois, il est actuellement à l'hôpital dans un état critique. L'extrême dangerosité d'exercer le métier de journaliste en Somalie n'est plus à démontrer. L'expulsion de Radio Shabelle expose ses employés aux mêmes risques. Nous demandons au Gouvernement somalien de respecter ses engagements constitutionnels et internationaux pour la protection des journalistes et le respect de la liberté d'opinion et d'information dans son pays," a ajouté l'organisation. La lettre du ministère de l'Intérieur adressée à Shabelle Media Network argue que cet l'édifice où siège le groupe média abritait autrefois la compagnie d'aviation somalienne et doit, à ce titre, revenir au Gouvernement. Cette mise en demeure est en totale contradiction avec l'accord que Shabelle Media Network a passé en 2010 avec le ministère des Transports du gouvernement de transition qui, en contrepartie de la réhabilitation du bâtiment par le média, l'autorisait à l'utiliser jusqu'en 2015. En plus d'abriter les studios de Radio Shabelle, ce bâtiment, situé dans la zone relativement sécurisée proche de l'aéroport de Mogadiscio, sert de logement pour de nombreux employés de la radio qui, en raison du climat de menace perpétuelle contre les médias, courraient un trop grand risque à résider en ville. Cet ordre soudain d'expulsion, qui revient à une fermeture du média, pourrait être lié à une série de reportages diffusés sur Radio Shabelle évoquant la détérioration de la situation sécuritaire dans Mogadiscio. Cette hypothèse est renforcée par le fait que les autres stations de radios également hébergées dans des bâtiments publics n'ont fait l'objet d'aucune ordonnance similaire. Radio Shabelle est l'un des seuls médias réellement indépendants en Somalie. Sa rédaction a su continuer à faire preuve de professionnalisme dans un climat tendu et à éviter toute récupération politique ou religieuse. Reporters sans frontières a souhaité reconnaître le travail et le courage de toute l'équipe de Radio Shabelle en lui décernant en 2010 le Prix Reporters sans frontières – FNAC. Souvent ciblée par les milices islamistes Al-Shabaab et Hizb-Al-Islam, parce qu'elle refuse de leur servir de porte-voix, Radio Shabelle a payé un lourd bilan à la liberté d'information. Depuis 2007, dix de ses journalistes ont été tués lors d'attaques violentes. Entre 2009 et 2013, quinze employés de la radio ont été blessés, agressés ou arrêtés. Son antenne a été bloquée ou censurée à six reprises. L'article 18 de la Constitution somalienne garantit pourtant la liberté d'expression et d'opinion. Le gouvernement est partie au Pacte International relatif aux droits civils et politiques, et a par ailleurs pris plusieurs engagements internationaux lors de l'Examen périodique universel de 2011 pour défendre explicitement la protection des journalistes et des médias. La Somalie se classe au 175ème rang sur 179 pays dans le Classement de la liberté de la presse établi par Reporters sans frontières en 2013. Plus d'information sur la Somalie. Photo : AFP / AU-UN IST / TOBIN JONES