Les journalistes "criminels" en Iran : un système judiciaire prédateur jette une ombre sur une prétendue réconciliation pré-électorale
Malgré les tentatives du gouvernement iranien d’afficher une attitude de réconciliation avec la presse à l'approche des élections législatives du 1er mars, une sinistre réalité demeure avec 15 journalistes en prison et de nombreux autres toujours poursuivis par un système judiciaire prédateur. Reporters sans frontières (RSF) dénonce l'intensification de la répression de la liberté de la presse, illustrée par le renforcement des restrictions au travail journalistique par le biais de la persécution judiciaire et de la "criminalisation" plus large du journalisme.
La récente libération de deux journalistes et le rétablissement du salon annuel de la presse de Téhéran – qui avait été suspendue en 2018 et qui mettait en valeur l'engagement des médias auprès du public –, sont arrivés à point nommé. Mais sous la surface de ce prétendu rapprochement avec la presse, se cache un système judiciaire déterminé à emprisonner les journalistes : qualification de “criminel” donnée par la justice ; emprisonnement malgré l’octroi d’une amnistie, les rallongements de peine, sont autant d’attaques qui soulignent la détermination continue du système judiciaire à traiter les journalistes comme des ennemis de l'État.
"L'assaut continu contre le journalisme ne connaît pas de frontières en Iran. Dans un effort d’affichage d’une sorte de réconciliation avec le paysage médiatique et d’amélioration de son image, le régime a libéré deux journalistes de renom, Niloofar Hamedi et Elaheh Mohammadi, et a réinstauré le salon de la presse de Téhéran. Cependant, face à la détention de dizaines d'autres journalistes et aux persécutions judiciaires qu’elles leur font subir, les autorités iraniennes n'ont pas réussi à convaincre qui que ce soit quant à leurs véritables efforts de réconciliation.
Illustrant de manière frappante la répression du gouvernement, le journaliste iranien Ruhollah Nakhaei a commencé à purger une peine de deux ans de prison, alors même qu’une amnistie avait été annoncée. Elle aurait été ordonnée par l'ayatollah Ali Khamenei en février 2023. Ruhollah Nakhaei a été arrêté en septembre 2022 alors qu'il effectuait un reportage sur une manifestation du mouvement "Femme, vie, liberté" de 2022, à la suite de l'assassinat de Mahsa Amini, puis il a été libéré sous caution. Il a finalement été condamné à une lourde peine de deux ans et sept mois par la branche 28 du tribunal révolutionnaire de Téhéran, pour "rassemblement et collusion contre la sécurité nationale" et "propagande contre la République islamique", alors même que de nombreux journalistes arrêtés à la suite de ces manifestations avaient bénéficié d'une grâce de l'exécutif. Malgré son appel en 2023, le verdict a été confirmé le 20 février, obligeant Ruhollah Nakhaei à purger la peine maximale de deux ans d'emprisonnement.
Le rédacteur en chef du journal Shargh, Mehdi Rahmanian, a quant à lui été qualifié de "criminel" par le tribunal de la presse, une première inquiétante, pour avoir publié un article sur la baisse de popularité du hijab en Iran, avant même qu'un verdict n'ait été rendu. M. Rahmanian a été accusé d'avoir diffusé des mensonges et d'avoir publié des documents contraires à la loi. Il a finalement été gracié le 27 février.
Dans le contexte de ce climat de censure omniprésent, Nasrin Hassani, rédactrice en chef de l'hebdomadaire Siyahat-e Shargh, qui purge actuellement une peine de sept mois à la prison de Bojnourd, a reçu la confirmation d'une nouvelle condamnation à un an de prison pour "diffusion de fausses informations" et "non-respect du hijab islamique". Même les journalistes iraniens à l'étranger ne sont pas épargnés par la main de fer du système judiciaire prédateur du régime. Selon des documents ayant fait l'objet d'une fuite, plus de dix journalistes de BBC Persian, ainsi que des journalistes d'Iran International, de Radio Farda, de Manoto TV et de Voice of America, ont été condamnés par contumace, sans avoir été informés de la procédure judiciaire, pour des accusations de propagande envers le régime iranien.
L'Iran occupe la 177e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse du RSF pour 2023, avec 87 journalistes détenus dans le cadre du mouvement de protestation "Femmes, vie, liberté" entre 2022 et 2023, et un nombre de 15 journalistes toujours derrière les barreaux.