Depuis le 13 juillet 2014, la capitale libyenne est le lieu d’affrontements armés de très forte intensité entre les milices rivales de Zintan et de Misrata, ainsi que leurs alliés respectifs, qui luttent entre autres pour le contrôle de l’aéroport international de Tripoli. Benghazi et ses environs continuent de souffrir de violents combats opposant les forces du Général Haftar aux groupes armés islamistes, dont Ansar Al-Shari’a. Ces derniers sont parvenus à s’emparer, le 30 juillet dernier, de la caserne du bataillon des forces spéciales, alliées à Haftar, qui ont été contraintes de se replier dans les montagnes du Jabal Akhdar, à l’est du pays.
Depuis le début de ce nouvel épisode de violence, plus de 200 personnes ont été tuées, et 1000 autres blessées, selon les chiffres du ministère de la Santé. La plupart des victimes ont perdu la vie dans des bombardements sur des zones peuplées majoritairement de civils. Amnesty International n’hésite pas à qualifier ces bombardements indiscriminés de
crimes de guerre.
Les professionnels de l’information ne sont pas épargnés par ce chaos sécuritaire. Le 5 août dernier dans la nuit, alors qu’ils revenaient de Tobrouk, à l’est du pays, où ils avaient couvert la cérémonie d'inauguration du nouveau Parlement libyen, cinq employés de la chaîne satellitaire
Barqa, basée à Ajdabiya, ont été enlevés. D’après son directeur
Faraj Al-Moughrebi, présent sur les lieux, les trois véhicules de la chaîne ont été immobilisés avec huit personnes à bord à un checkpoint proche de la ville de Derna, connue comme étant le fief d’Ansar Al-Shari’a. La milice qui a stoppé les journalistes leur a indiqué appartenir aux forces du Général Haftar. Les miliciens ont menacé les journalistes de leurs armes pour les faire descendre des véhicules. Selon Al-Moughrebi, leurs vêtements de style afghan ainsi que leur accent faisaient toutefois penser que cette milice appartenait davantage au camp opposé. L’une des trois voitures, avec à son bord le directeur de la chaîne ainsi qu’un technicien et un cameraman, est parvenue à prendre la fuite bien que les miliciens aient ouvert le feu. L’éditeur
Khaled Al-Sibihi, le présentateur
Younes Al-Mabrouk Al-Moughrebi, les journalistes
Abdelsalam Al-Moughrebi et
Youssef Al-Qumudi, et le monteur égyptien
Mohamad Jalal ont tous été enlevés. On est sans nouvelles d’eux depuis lors.
Le 4 août dernier dans l'après midi, les "forces spéciales de dissuasion", une milice sous le contrôle de l'islamiste Abdelraouf Kara, ont exhorté les employés de la chaîne publique
Al-Wataniya de cesser la diffusion de la cérémonie d'inauguration du nouveau Parlement libyen. Pour ce faire, les miliciens ont obligé l'ensemble des employés de la chaîne à sortir du bâtiment. D'après les déclarations de deux employés d'
Al-Wataniya, le responsable de la prise d'assaut de la chaîne, Abdalazim Al-Shahrani, a exigé des employés qu'ils ne couvrent en aucun cas les événements relatifs au nouveau Parlement, tout en les sommant de soutenir l'opération "Aube de la Libye" (Fajr Libya), entreprise le 13 juillet dernier par les milices de Misrata afin de s'emparer de l'aéroport de Tripoli, contrôlé jusqu'à présent par des milices zintanies.
Trois jours plus tôt, vers vingt heures trente, trois employés de la chaîne privée satellitaire
Al-Assima avaient été enlevés sur la place des Martyrs, à Tripoli, alors qu’ils venaient de couvrir une manifestation dénonçant les affrontements dans la capitale libyenne. D’après un employé de la chaîne, trois Toyata noires sans plaque d’immatriculation ont embarqué l’équipe d’
Al-Assima pendant qu’elle rangeait son matériel. Le correspondant
Mohamed Abdelrazaq Hussein, le cameraman
Ahmed Hussein Al-Ulawni et le producteur
Ahmed Mohamed Al-Jihad ont été conduits vers une destination inconnue, avant d’être libérés cinq jours plus tard, en pleine nuit. D’après un communiqué diffusé par la chaîne, les trois hommes auraient été détenus sur la base aérienne de Mitiga, contrôlée par des brigades islamistes alliées à Misrata. Ils auraient été torturés au cours de leur détention par leurs ravisseurs, qui leur ont rasé les cheveux.
Nombreux sont les journalistes libyens à être menacés, agressés, kidnappés voire tués en raison de leurs activités professionnelles depuis la fin de la révolution du 17 février. Les nombreux épisodes de violence entre les différentes factions et groupes armés n’ont fait que multiplier les violations de la liberté d’information en Libye, et les exactions contre les acteurs de l’information. Certains ont été contraints de quitter leur pays pour des questions de sécurité. D’autres y songent. Depuis le début de l’année 2014, Reporters sans frontières a recensé près d’une soixantaine de violations de la liberté de l’information et soutenu dix journalistes en exil.
L’organisation exhorte l’ensemble des acteurs prenant part aux affrontements armés à cesser immédiatement toutes attaques perpétrées à l’encontre des populations civiles et plus particulièrement des professionnels des médias travaillant en Libye. Le rôle que jouent les acteurs de l’information au sein de la nouvelle Libye est fondamental, notamment dans le processus global de la construction d’un État viable et démocratique sur le long terme.
De leur côté, les médias et les professionnels de l’information doivent faire preuve d’indépendance et de professionnalisme, en ayant pleinement conscience des responsabilités qui leur incombent. Les acteurs de l’information doivent garder à l’esprit leur rôle essentiel de contre-pouvoir, en n’alimentant pas les tensions et différends politiques.
Consciente des importantes difficultés et nombreux défis auxquels le nouveau Parlement libyen doit faire face, Reporters sans frontières tient néanmoins à rappeler l’obligation de tout Etat de protéger les populations civiles, y compris les journalistes. Reporters sans frontières appelle donc les autorités libyennes à déployer tous les moyens nécessaires pour endiguer les attaques à l’encontre des acteurs de l’information et faire en sorte que l’impunité cesse de régner, en portant les responsables de ces crimes devant la justice.