Le Rojava ou comment le PYD entend contrôler les médias et mettre au pas les acteurs de l’information
Organisation :
Reporters sans frontières est particulièrement inquiète de la nette dégradation de la situation de la liberté de l’information dans les territoires contrôlés par le Parti de l’Union démocratique (PYD). L’organisation est consciente des problèmes de sécurité dans cette région alors que le conflit s’enlise en Syrie et que les mouvements djihadistes menacent les populations civiles. Toutefois, en tant qu’autorité en charge de contrôler cette partie du territoire syrien, il est de la responsabilité du PYD d’y faire respecter les libertés fondamentales, parmi lesquelles la liberté d’information.
Or, la mise en place de l’Union des médias libres ressemble à n’en pas douter à l’instauration d’une sorte de ministère de l’Information. Par ailleurs, l’organisation a recensé un nombre croissant d’exactions à l’encontre des acteurs syriens de l’information, principalement de la part des Asayesh (forces de sécurité) et les YPG (Unités de défense du peuple, ie, la branche armée du Comité suprême kurde, accusé d’être la branche armée du PYD). Déjà en novembre 2013, dans le rapport “Le journalisme en Syrie une mission impossible”, RSF avait déjà recensé un certain nombre d'exactions (pages 9 et 10 du rapport).
L’Union des médias libres, le futur ministère de l’Information
Le 15 août 2013, le Conseil suprême du Kurdistan, considéré comme l’autorité contrôlant les régions à population majoritairement kurdes de Syrie (auto-proclamées Rojava), a annoncé la mise en place de l’Union des médias libres (Union of Free Media - Yekîtiya Ragihandina Azad). Cette union (YRA), basée à Qamishli, sorte de ministère de l’Information, est considérée comme étant la seule entité en charge de superviser les médias qui souhaitent travailler au Rojava. Ainsi, les médias et les acteurs de l’information doivent-ils demander (et obtenir) une autorisation auprès de cette institution afin de pouvoir fonctionner et travailler. En plus de cette autorisation, de nombreux acteurs de l’information témoignent devoir également informer les Asayesh de leurs déplacements. Les autorités arguent de la nécessité de telles autorisations pour la sécurité des journalistes.
Des exactions en série
Le PYD et ses sbires n’hésitent pas à arrêter, voire enlever, les acteurs de l’information un peu trop critiques, afin de les réduire eux au silence et intimider les autres. Le 23 avril 2014, Muhammad Mahmoud Bashar, reporter pour la chaîne de télévision Rudaw, a ainsi été arrêté par les Asayesh à Derbassiyah vers 21 heures. Il a été relâché le 28 avril.
Raman Hisso est un reporter pour Zagros TV. Contacté par Reporters sans frontières, il témoigne : “Le 19 mars dernier, il était 17 heures, je me rendais à Amuda quand deux hommes armés et masqués m’ont kidnappés dans un 4x4 de couleur marron. Ils m’ont conduit dans un endroit inconnu. Là, j’ai été battu violemment par plusieurs hommes pendant plus d’une heure. Ils m’ont ensuite conduit à des interrogateurs qui parlaient kurde, et m’ont posé des questions au sujet de mon travail pour Zagros TV, notamment à propos de l’émission pour la chaîne kurde ARK. Ils m’ont également posé des questions sur mon rôle dans la révolution de manière générale. Cela a duré plus de huit heures, pendant lesquelles j’avais les yeux bandés et les mains entravées. Des questions m’ont également été posées sur d’autres militants de l’information, essayant de m’utiliser pour leur tendre des pièges. Ils ont notamment pris mon téléphone portable et mes deux cartes SIM, fouillant ma page Facebook et les différents échanges et messages qui y figuraient. Ils ont changé mon mot de passe ainsi que ceux de certaines pages que j’administrais. Ils m’ont accusé entre autres de liens avec la Coalition syrienne, de relations avec le Conseil national kurde, voire avec Jabhat Al-Nusra et ISIS. Et de terrorisme. Alors que tout ceci est faux. Ils m’ont ensuite laissé près d’un terrain vague, désert, pas très loin de chez moi. Je sais que c’est le PYD qui est responsable de mon enlèvement”. Il ajoute : “Déjà en février 2013, alors que je filmais une manifestation à Amuda, trois membres du PYD m’ont agressé brutalement, cassant ma caméra. Je suis parvenu à m’enfuir”.
Raman Hisso raconte ainsi que les Asayesh ont essayé de lui faire appeler le journaliste Edris Muhammad Khalaf, connu sous le nom d’Edris Hota, dont le nom figurait dans sa liste de contacts. Ce collaborateur pour le site d’informations ARA News avait déjà échappé à une première tentative d’enlèvement début 2014.
L’expulsion devient également monnaie courante. Et pas uniquement à l’encontre des acteurs de l’information. Reporters sans frontières a ainsi recensé un certain nombre de cas de voix dissidentes de la société civile, expulsées vers le Kurdistan irakien.
Ainsi, Mahmoud Bahlawi (aka Bishwa Bahlawi), correspondant de la chaîne Rudaw, et Rudy Ibrahim, correspondant de la chaîne Orient News, ont été arrêtés dans le quartier Al-Kornishe à Qamishi vers 14 heures le 18 avril dernier par quatre membres individus armés, en tenue militaire “ressemblant à celle des Asayesh”, déclare l’un des deux journalistes. “Ils nous intimé l’ordre de monter. Ils nous ont bandé les yeux et menotté les mains. L’un d’eux nous a menacé. Ils n’ont pas répondu quand on leur a posé la question de qui ils étaient. Une demi-heure plus tard, la voiture s’est arrêtée. On nous a fait descendre, chacun dans une cellule. Quelques heures plus tard, on a été transférés. Là, un homme nous a dit en kurde : on n’est pas des arabes, on est des kurdes de la Fondation des familles des martyrs du YPG. Cette fois on vous emmène dans un endroit d’où vous ne pourrez revenir au Rojava. Si jamais vous revenez, on vous tue. Telles sont les lois qui s’appliquent aux traîtres et aux collaborateurs qui ne respectent pas le sang des martyrs et qui disent du mal de nos martyrs du matin au soir. On nous a fait changer plusieurs fois de véhicule. A un moment nous nous sommes arrêtés. Ils nous ont livrés à des Pershmergas (armée au Kurdistan irakien) en disant : “Rudaw, chaînes traîtresse et collaborationniste. Allez au Kurdistan irakien et surtout, ne revenez pas”.” Ces deux journalistes kurdes syriens vivent depuis à Erbil, expulsés de leur région par les YPG.
Le 24 avril, le journaliste de Rudaw, Jomard Hamdosh a été menacé par les YPG de ‘Afrin d’être arrêté et expulsé s’il continuait à travailler comme acteur de l’information. Son domicile a été vandalisé. Le journaliste s’est vu interdire par les Asayesh, le 29 janvier dernier, d’exercer son métier de journaliste dans le district d’Afrin. Jomard Hamdosh se cache depuis, sachant que son domicile est surveillé. Il déclare avoir reçu des informations selon lesquelles une décision de l’arrêter et de l’expulser vers le Kurdistan irakien a été prise : “pour le YPG, toute personne qui travaille pour la chaîne Rudaw doit rester au Kurdistan (irakien), non pas au Rojava”.
De nombreux acteurs de l’information ont ainsi pris la voie de l’exil, fuyant la pression et les menaces du PYD. Zara Seyda est l’un d’entre eux. Cet ancien responsable du bureau des médias du Yekiti Kurdish Party, devenu rédacteur pour la version arabe du site d’informations ARA News en septembre 2013, a ainsi déclaré à Reporters sans frontières : “J’étais en charge de couvrir l’ensemble des activités à Amuda et Qamishli (pour le parti). Le 27 juin 2013, je filmais une manifestation au cours de laquelle les YPG ont commencé à tirer sur les manifestants, j’ai publié les photos et vidéos de ce massacre. Aussitôt après, ils ont commencé à me rechercher. C’est pour ça que je suis parti en Turquie: je suis aujourd’hui recherché par les YPG. Ils menacent et enlèvent tout acteur de l’information dont ils n’aiment pas le travail.” Autre exemple, celui de Hajjar Al-Sayed, qui a notamment travaillé pour Arta FM et SMART Agency. “Il y a environ un an, j’ai été menacé à plusieurs reprises par un responsable des Asayesh. Toujours le même. La dernière fois, il m’a fait monter dans son véhicule et m’a dit d’arrêter de travailler pour des médias en lien avec l’opposition. Et que c’était un avertissement : si je n’arrêtais pas mon travail d’information, la prochaine fois, il y aurait sanction. (...) Ma famille, craignant la réaction des Asayesh, m’a conseillé de partir. Je vis depuis à Erbil”.
Publié le
Updated on
20.01.2016