Le pouvoir de la télévision attire les politiciens en Tunisie - Media Ownership Monitor lancé par RSF et Al Khatt

En Tunisie, la majorité des chaînes de télévision les plus importantes reste proche de la sphère politique et du pouvoir. Des données fiables sur l’audience ou des informations financières sont difficiles à récolter ou n’existent pas, ce qui empêche une analyse effective de la concentration dans le secteur médiatique. Il s'agit là d'une partie des résultats du Media Ownership Monitor (MOM) que présentent Reporters sans frontières (RSF) et l’ONG tunisienne Al Khatt ce 13 juillet 2016.

Comme une contribution à la sensibilisation aux médias dans le pays, les résultats sont accessibles au public sur le site www.mom-ikiepewlso.tudasnich.de/tun pour permettre aux citoyens tunisiens d’analyser les informations qu’ils consomment chaque jour via les différents supports médiatiques. Les résultats sont le fruit de trois mois de recherches menées par Reporters sans frontières et Al Khatt en se basant sur une méthodologie générique. Ils donnent des réponses aux questions suivantes : Qui possède ou contrôles les médias? Quels intérêts se cachent derrière certaines institutions médiatiques? Quel est le niveau de concentration et de transparence de ces médias? Quelles sont les difficultés structurelles, légales, économiques ou politiques auxquelles ils sont confrontés?


Le paysage médiatique s’est diversifié en Tunisie depuis la révolution et les médias jouent un rôle important dans le processus de transition. Pour autant, la diversité médiatique n'assure pas seule l'indépendance de l'information, surtout si ces derniers sont dominés par des intérêts politiques ou économiques. La recherche de RSF et Al Khatt, montre que même s’il n’y a pas de forte concentration des médias par une poignée de personnes, comme c'était le cas à l’époque de Ben Ali, il y a des tendances inquiétantes :


-6 chaînes de télévision sur les 10 analysées sont liées à des personnalités ou des partis politiques. La télévision, média le plus important en Tunisie en terme d'audience, est ainsi convoitée par la sphère politique. Cette proximité reste présente malgré les exigences de la HAICA dans l'octroi des licences et le fait que certains fondateurs ou propriétaires de chaînes de télévision cèdent leurs parts ou démissionnent officiellement de leurs fonctions pour s'y conformer. Plusieurs chaînes de télévision ne sont toujours pas reconnues légalement car elles ne répondraient pas à ce type de critères (Zitouna TV) ou leur situation n’est pas régularisée (Nessma TV, Hannibal TV, El Hiwar Ettounsi).


-Pas de chiffres fiables sur la mesure de l'audience, quel que soit le support médiatique. Des données fiables sur l'audience constituent une devise pour un marché médiatique sain, car elles déterminent les investissements publicitaires et par conséquent la viabilité financière des médias. L'impossibilité de calculer les parts d'audience empêche aussi un contrôle sur la concentration. Si - comme en Tunisie – les informations sur l'audience sont indisponibles ou corrompues, le marché médiatique souffre dans son ensemble.


-Les données financières sur les médias difficilement accessibles. Même si les données basiques sur les sociétés détenues par la plupart des propriétaires de médias sont disponibles sur le registre du commerce ou communiquées par les médias eux-mêmes, il y a une vraie absence de données financières. Même les institutions de l’Etat ont des difficultés à avoir accès à toutes les données, surtout les plus récentes, et de nombreux médias ne respectent pas toutes les obligations légales par rapport à la transparence.


-Le manque de transparence sur les moyens de financement. Si l’Agence tunisienne de communication extérieure (ATCE) centralisait la distribution de la publicité publique sous Ben Ali, ce n’est plus le cas depuis la dissolution de cette agence qui servait la propagande de l’ancien régime. Aujourd’hui, plus aucun organisme public ne connaît les chiffres sur la publicité ou les abonnements publics dont dépend un secteur de la presse écrite en crise. D’un autre côté, certains médias dont la part du marché publicitaire est très faible voire quasi inexistante, survivent grâce à des financements propres dont les sources ne sont pas connues.


Cependant, on peut aussi constater une prise de conscience importante du besoin de diversité. Le cadre légal, surtout le décret-loi 115/2011 et les cahiers des charges de la HAICA, ont établi des règles claires par rapport à la concentration.


La recherche a aussi montré que l’Etat avait confisqué des parts dans plusieurs médias qui étaient détenus exclusivement ou en partie par des proches du pouvoir, avant la révolution, dont une maison de presse (Dar Assabah), trois stations de radios (Zitouna FM, Shems FM, Mosaïque FM), une chaîne de télévision (Hannibal TV) et une société de production (Cactus Prod) liée à une chaîne. La vente de ces médias doit se faire dans la transparence et en respectant des règles de diversité.


Le pluralisme des médias est un pilier clé des sociétés démocratiques, car des médias divers, indépendants et libres sont le reflet d'opinions et d'avis divergents, permettant de jouer un rôle de contre-pouvoir. Dans ce sens, le MOM a analysé les médias tunisiens les plus importants dans le domaine de la télévision, de la radio, de la presse écrite et de la presse en ligne en se basant sur une méthodologie générique. Il permet une cartographie des propriétaires des principaux médias ; cette base de données sera accessible publiquement et mise à jour régulièrement.


Le Media Ownership Monitor est un projet international qui a déjà été mené en Colombie (http://t1p.de/76ru) et au Cambodge (http://mom-kh.com/). En plus de la Tunisie, le MOM sera mis en œuvre au Pérou, en Ukraine, en Turquie, aux Philippes et en Mongolie en 2016.

La Tunisie est classée 96 de 180 pays dans le classement mondial de la liberté de la presse de RSF de 2016.

Publié le
Updated on 21.07.2016