Le gouvernement somalien doit revoir sa copie
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Le Conseil des ministres de Somalie doit examiner le projet de loi sur les médias ce jeudi 26 juin. RSF met en garde contre l'adoption d'un texte inabouti et beaucoup trop restrictif.
Reporters sans frontières est préoccupée de la décision soudaine du ministère de l'Information de faire approuver le projet de loi sur les médias en conseil des ministres ce jeudi 25 juin, avant le début du ramadan. Si on peut saluer les tentatives de consultation effectuées par le gouvernement, des voix continuent de s'élever dans la communauté des médias déplorant le choix biaisé des interlocuteurs perçus comme peu représentatifs de l'ensemble de la communauté journalistique et de la société civile somalienne.
Pour Reporters sans frontières, ce texte ne peut être qu’un “avant projet” de loi au sens où il fixe les orientations mais souffre de lacunes rédhibitoires. "La présentation impromptue de la loi en conseil des ministres, ainsi que l'annulation de certaines consultations publiques prévues, envoie un message inquiétant à la communauté des médias. Le texte n'est pas suffisamment précis en l’état pour offrir les garanties nécessaires aux journalistes de travailler librement, déclare Cléa Kahn-Sriber, responsable du bureau Afrique de RSF. Nous demandons formellement au conseil des ministres somalien de ne pas valider le texte en l'état et d'exiger l'élaboration d'un texte consensuel et qui garantisse la liberté de l'information pour le peuple somalien".
Reporters sans frontières déplore la définition beaucoup trop large des "médias" (qui inclue les "discours" et les "livres" ainsi que l'ensemble des sites Internet….). Selon le texte, les médias devraient s'enregistrer et obtenir des licences auprès du ministère de l'Information, et non d'une autorité indépendante, sans lesquelles il leur serait illégal de publier. De plus le texte fait à plusieurs reprises allusion au retrait de licence, utilisée comme une épée de Damoclès, alors que ce retrait ne devrait être qu'une mesure exceptionnelle et ne mentionne à aucun moment la proportionnalité des sanctions.
Les restrictions à la liberté d'expression doivent être précises pour être conformes aux exigences de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques(L’article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Somalie en 1970, précise que les restrictions à l’exercice de la liberté d’expression “doivent toutefois être expressément fixées par la loi”. Le Comité des droits de l’homme a précisé que Les lois doivent énoncer des règles suffisamment précises pour permettre aux personnes chargées de leur application d’établir quelles formes d’expression sont légitimement restreintes et quelles formes d’expression le sont indûment. )]. Dans le projet de loi, une série de restrictions extrêmement floues et parfois illégitimes limitent cette liberté. Par exemple la diffamation n'est pas définie, pas plus que la sécurité nationale ou le concept de fausse information. Le droit des journalistes à recevoir des informations est affirmé mais peut être interdit si cette interdiction est jugée "raisonnable", en violation de l'article 32 de la Constitution somalienne qui garantit le droit à l'information.
Alors qu'il est prévu que le code d'éthique soit défini avec les parties prenantes, le contenu semble en être déjà fixé et prévoit de façon surprenante, et décriée par de nombreux journalistes somaliens, le respect obligatoire de l'Islam et de "l'éthique traditionnelle somalienne". Les journalistes étrangers ne sont pas épargnés et soumis aux mêmes exigences de respect des "traditions somaliennes" ainsi qu'à des règles qui devront être validées par le ministère de l'Information sans que celles-ci soient précisées, plongeant ainsi les médias étrangers dans une insécurité juridique.
L'intention apparemment positive sur la protection des journalistes demeure insuffisante, et devrait prévoir une incrimination spécifique pour atteinte à la liberté d'expression [telle que recommandée par le rapporteur spécial, Frank La Rue. De plus les journalistes sont toujours passibles d'être arrêtés alors que la dépénalisation des actes journalistiques fait depuis longtemps l'objet de requêtes des organisations de défense de la liberté de l'information.
Contrairement à ce qui est annoncé, le secret des sources n'est pas garanti. Le texte ne prévoit pas un véritable régime de protection des sources, avec des exceptions limitées à des cas exceptionnels et graves et assorti de garanties procédurales.
Enfin, si le Conseil des médias est qualifié d'indépendant, aucune garantie dans ce sens n'est apportée, et l'imprécision demeure quant à sa composition, à la procédure de nomination des membres, à son fonctionnement, à son financement, aux échelles de sanctions etc. De plus ce Conseil a vocation à réguler l'ensemble des médias, ce qui est contraire aux standards internationaux puisque les instances de régulation ne devraient avoir compétence que sur les médias audiovisuels.
La loi comporte néanmoins des points positifs, notamment la consécration des grands principes et la mention explicite de l'article 18 de la Constitution somalienne et de l'article 19 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, ratifié par la Somalie en 1970. Il est également louable de mettre en place un média public qualifié d'indépendant et de donner une définition ouverte du métier de journaliste.
(photo : le Premier ministre de Somalie Abdiweli Sheikh Ahmed)
Publié le
Updated on
20.01.2016