Le gouvernement népalais veut censurer la publication de vidéos en ligne
Au prétexte de vouloir “réguler” les contenus vidéos en ligne, les autorités de Katmandou ont présenté un décret qui, de fait, revient à instaurer une censure des programmes d’information diffusés par les médias, les journalistes et les citoyens du pays. Reporters sans frontières (RSF) appelle le gouvernement à faire preuve de discernement et à abandonner immédiatement ce texte liberticide.
500.000 roupies népalaises, soit plus de 3720 €… C’est le prix que devrait désormais payer tout média ou tout individu qui voudrait poster des vidéos en ligne, selon les termes d’un décret récemment adopté par le gouvernement. Dans un pays où le salaire minimum des journalistes est fixé à 25.000 roupies, ce texte rendra impossible toute velléité de créer un média sur Internet.
C’est le 3 mars dernier que le ministère des Communications et des Nouvelles technologies népalais a présenté ce décret, adopté dans la foulée en conseil de ministres. Il s’agit plus précisément d’un amendement apporté aux dix “règles” édictées par une loi de 1993, dite de Règlement de l’audiovisuel national (National Broadcasting Regulations, NBR).
Selon ce onzième amendement, aucune entité n’est autorisée à poster de vidéo sur Internet sans avoir préalablement payé la somme qui permet d’obtenir une licence. Cela vaut pour toute forme de vidéos diffusées en ligne - à commencer par les chaînes YouTube, très suivies par les Népalais.
Inconsistances juridiques
Face aux critiques qui ont suivi la présentation du onzième amendement à la loi NBR, le ministre des Communications et des Technologies de l'information, Gyanendra Bahadur Karki, a assuré que le gouvernement “essayait de faire du bon travail” et allait “discuter de certaines ambiguïtés [avec les différentes parties] et donner des explications supplémentaires.” Trois semaines plus tard, aucune précision n'a été apportée.
“Réclamer des sommes exorbitantes pour créer simplement une chaîne vidéo en ligne revient à imposer une censure qui ne dit pas son nom aux médias, aux journalistes indépendants et à tous les citoyens de la République du Népal, souligne le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous appelons le gouvernement du Premier ministre Sher Bahadur Deuba à annuler immédiatement cet amendement à la loi de règlement de l'audiovisuel. En plus d’être juridiquement contestable sur la forme, ce texte constitue, sur le fond, une attaque en règle contre le droit des Népalais à obtenir et diffuser des informations indépendantes.”
Entre autres inconsistances juridiques, ce onzième amendement à la loi NBR n’offre pas de définition claire du concept de “télévision en ligne”, qui désigne selon l’article C(6), “l'action de produire et de diffuser régulièrement des programmes audiovisuels sur Internet” .
Surtout, le recours à un décret gouvernemental pour amender cette loi pose clairement problème : interrogé par RSF, Babu Ram Aryal, avocat expert en droit des nouvelles technologies, estime que, dans cette affaire, “l’exécutif a contourné la souveraineté du parlement”.
Il poursuit : “Il semble que l'actuelle coalition au pouvoir a voulu insérer dans ces règlements les mêmes dispositions que celles que le précédent gouvernement Oli avait tenté d'imposer dans son projet de loi sur les technologies de l'information.”
Présenté en 2019, ce texte était emblématique des velléités du gouvernement précédent de contrôler les contenus diffusés par les organes de presse, comme RSF l’avait alors condamné.
Alors dans l’opposition, la coalition actuelle, qui lui a succédé au pouvoir en juillet dernier, avait à l’époque épousé ces critiques.
Le Népal se situe à la 106ème place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2021 par RSF.