Le droit à l’information en berne en Inde : à deux mois des élections générales, un climat liberticide s’installe
À l’approche des élections générales indiennes, les violations de la liberté de la presse se multiplient : journalistes poursuivis en justice, attaqués, censurés ou interdits d’accès à des zones “sensibles”. Reporters sans frontières (RSF) dénonce un climat liberticide qui ampute d’ores et déjà le droit à une information plurielle et indépendante.
Climat délétère pour la liberté de la presse : de multiples exactions contre les journalistes et les médias ont émaillé ces dernières semaines, alors que les élections générales prévues entre avril et mai approchent. L’intimidation des reporters par des acteurs étatiques et non étatiques pour les empêcher de couvrir les sujets sensibles ou les réduire au silence fait figure de tendance désormais bien installée dans le pays.
“Alors que les élections sont prévues dans deux mois, entre avril et mai, la répression des autorités et les attaques multiples contre les journalistes visent à réduire au silence les voix médiatiques indépendantes. RSF dénonce un climat liberticide qui s’installe dans le pays et risque d’affecter une couverture pluraliste et transparente du processus électoral. L’organisation appelle le gouvernement à garantir la sécurité des journalistes et le droit d'accès à l'information et à cesser toute répression à leur encontre.
- La sécurité nationale contre les médias indépendants
Le 9 février, le gouvernement a dégainé la loi sur les technologies de l'information amendée en 2023 (Section 69A de l’Information Technology Act ) qui permet d’invoquer entre autres la "sécurité nationale" pour censurer la presse. Le magazine d’investigation The Caravan, l’un des rares médias encore indépendants, en a fait les frais. Le ministère de l'Information et de la Radiodiffusion a sommé ce média de retirer, dans les 24 heures, son article en ligne “Screams from the Army Post" investigant des cas de meurtres et de torture commis par l'armée indienne dans le territoire militarisé du Jammu-et-Cachemire.
- Attaques contre les journalistes
Alors que des armées de trolls proches du pouvoir assaillent les réseaux sociaux pour discréditer les journalistes considérés comme “critiques”, des agressions physiques peuvent aussi survenir. Dans la nuit du vendredi 9 février, le véhicule du journaliste indépendant Nikhil Wagle a été très brutalement attaqué à Pune par des partisans du Bharatiya Janata Party (BJP), parti au pouvoir. Quelques jours auparavant, le journaliste avait posté sur X (anciennement Twitter) un commentaire ironique sur le Premier ministre Narendra Modi et l’ancien vice-Premier ministre et membre du BJP, L.K. Advani. Un député local du BJP, Nitesh Rane, estimant que Nikhil Wagle s’était sorti à bon compte de son agression, a déclaré : “Le travail du BJP de Pune est resté inachevé. Un jour ou l'autre, le travail devra être achevé et s'ils n'y parviennent pas, ils devront m'appeler”. Un dirigeant local du BJP a par ailleurs porté plainte contre le journaliste pour son tweet, l’accusant de crimes graves : “promotion de l'hostilité entre différents groupes”, “diffamation”, “déclarations entraînant des troubles à l'ordre public”.
- Escalade de la rétorsion contre les correspondants étrangers
Installée en Inde depuis 2001, la collaboratrice de plusieurs médias francophones, dont l’hebdomadaire Le Point et les quotidiens Le Soir et La Croix, Vanessa Dougnac, s’est, elle, vu notifier, le 18 janvier, par le ministère de l’Intérieur, le retrait de sa carte de résidence OCI (Overseas Citizen of India), en raison d’articles qualifiés de “malveillants et critiques”. Son permis de travail lui avait déjà été refusé dix-sept mois plus tôt, sans justification.
- Refus d’accès aux zones dites “sensibles” au niveau sécuritaire
Dans l’État d’Uttarakhand, au nord de l’Inde, les journalistes se sont vu refuser l’accès à la localité d’Haldwani, où la destruction le 8 février d‘une mosquée et d’une madrassa (école coranique), construites sans autorisation selon les autorités, avait provoqué la colère des habitants. Cinq personnes sont mortes dans les violentes manifestations qui ont suivi. Les autorités ont depuis donné l'ordre de tirer à vue, imposé un couvre-feu et suspendu les services d'Internet.
- Suspension d’Internet et des services mobiles
Le black-out des services de communication est une autre arme de l’arsenal répressif. Depuis le début de l’année 2024, de multiples suspensions des services mobiles et d’Internet ont été ordonnées dans plusieurs États. Ces derniers jours, plusieurs districts de l’Haryana – qui borde la capitale – ont été privés d’Internet mobile, alors que se préparent des marches de protestation d’agriculteurs vers New Delhi, à l'appel d’organisations paysannes.