"Le djihad contre les journalistes"
Un an après la tragédie de Charlie Hebdo, Reporters sans frontières (RSF) publie un rapport sur la guerre menée contre le journalisme par les groupes islamistes armés comme Daech. Enquête sur des idéologies et systèmes totalitaires qui ne conçoivent les reporters que soumis ou morts.
Un an après la tragédie de Charlie Hebdo, au cours de laquelle 8 journalistes ont été tués, Reporters sans frontières (RSF) publie un rapport, Le djihad contre les journalistes, sur les exactions perpétrées par les djihadistes de Daech, d’Al-Qaïda, des Shebab et de Boko Haram, la genèse de leur haine à l’encontre de tous les reporters et les machines de propagande de l’Islam radical et violent. Ou comment des groupes extrémistes entendent éradiquer l'information indépendante pour conquérir les esprits.
Le Djihad contre les journalistesRapport
Le rapport s’ouvre avec le fac-similé de la liste noire de 11 journalistes, dessinateurs et intellectuels, diffusée au printemps 2013 dans la « revue » Inspire d’Al-Qaïda. Aux côtés d’Ayaan Hirsi Ali et de Salman Rushdie, figurait Stéphane Charbonnier, alias Charb, le rédacteur en chef de Charlie Hebdo. Dans son numéro 14, à l’été 2015, la tuerie était qualifiée de « 11 septembre de la France ». Avec une nouvelle menace, à l’adresse de Charlie Hebdo : « si vous recommencez, nous reviendrons ».
« Aux côtés des plus sombres dictateurs, le djihadisme est devenu l’un des pires prédateurs de la liberté de la presse dans le monde, observe Christophe Deloire, secrétaire général de RSF. Comme l’a prouvé l’attentat contre Charlie Hebdo, nous entrons dans une période de mondialisation de la menace. Les journalistes ne sauraient être protégés, et donc l’ensemble des peuples non plus, sans une mobilisation générale pour s’opposer aux idéologies haineuses, parfois soutenues par des Etats. La liberté et l’indépendance de l’information sont très clairement des enjeux majeurs pour l’avenir de l’humanité ».
IMGReportage sur les terres du Djihad : mission impossible ?
RSF expose les « onze commandements » édictés par Daech en octobre 2014 dans la province de Deir Ez-Zor en Syrie, auxquels les journalistes doivent se soumettre. Le premier consiste à prêter allégeance au calife. Un autre « commandement » leur interdit de travailler pour des chaînes « luttant contre les pays islamiques ». Ils ne peuvent publier un article sans avoir obtenu d’abord l’assentiment du « service de presse » de l’Etat islamique. Enfin, tout écart de conduite sera sanctionné, le journaliste fautif étant « tenu pour responsable ».
Les journalistes qui écrivent sur l’Etat islamique avec distance sont considérés comme des « soldats ennemis » et donc, des «cibles à abattre». Certains spécialistes voient dans la politique de Daech envers les médias la mise en œuvre des préceptes qui figurent dans un pamphlet de 2007, Gestion de la barbarie, attribué à un certain Abou Bakr Naji, considéré comme le Mein Kampf des Islamistes. La référence aux médias y est omniprésente, mais seulement sous le prisme de la « guerre de l’information ».
La politique de Daech envers les médias comporte deux axes. D’une part la propagande, menée à coup de vidéos léchées - grues de travelling à l’appui - réalisées par les « brigades médiatiques » : des professionnels rompus au maniement de la caméra, payés jusqu’à sept fois plus que les fantassins de base, qui bénéficient même d’une voiture de fonction. D’autre part, la répression : arrestations, kidnappings, exécutions sommaires, assassinats. Ainsi du photojournaliste irakien Jala’a Adnan Al-Abadi. Sans ressources et avec le sentiment que son devoir était de continuer d’informer sur la façon dont Daech traitait la population civile (crucifixions, décapitations, tortures), il est revenu à Mossoul après s’être enfui. Pour se faire arrêter peu après. Apparemment, il a été exécuté dès son arrivée dans un centre de détention. Comme Naji Jerf, ce documentariste soutenu par RSF, assassiné le 27 décembre à Gaziantep au sud de la Turquie alors qu’il s’apprêtait à rejoindre la France avec sa famille.
A l’inverse, certains journalistes sont accusés par des gouvernements de porter la « bonne parole » des extrémistes, quand bien même ils ne font que leur travail. Complicité, apologie et même « espionnage » pour le compte des djihadistes sont autant de crimes qu’on leur impute, en Syrie, en Somalie, en Egypte, au Mali, au nom de la lutte anti-terroriste. C’est le cas du journaliste camerounais Simon Ateba, qui fut accusé d’espionnage pour le compte de Boko Haram au motif qu’il s’était rendu dans le camp de Minawao au nord du pays, pour un reportage sur les conditions de vie des réfugiés nigérians. C’est aussi le cas de Can Dündar, le rédacteur en chef du quotidien turc Cumhuriyet, en prison depuis novembre, pour avoir révélé les livraisons d’armes turques au nord de la Syrie.