La crise du Covid-19 suscite une augmentation des attaques physiques et des poursuites judiciaires contre les journalistes bangladais
Un mois après l’imposition d’un confinement généralisé de la population bangladaise, le 26 mars, Reporters sans frontières (RSF) dresse un bilan alarmant de la recrudescence des violences, civiles et policières, ainsi que du harcèlement judiciaire qui vise les reporters tentant d’enquêter sur les problématiques liées au coronavirus.
Il a dû être transféré en urgence à l’hôpital, inconscient, le corps et le visage recouverts de sang. Le reporter Sajal Bhuiyan, correspondant de la chaîne privée SATV dans le district de Narsingdi, à Dacca, a été violemment battu le jeudi 23 avril alors qu’il enquêtait sur des détournements de dons de riz destiné aux populations défavorisées.
Ces dotations, prévues par les autorités bangladaises pour répondre aux conséquences économiques du confinement lié à la crise du coronavirus, sont à la source de plusieurs cas de prévarication de la part de responsables de cantons. C’est justement sur un cas de détournement de riz qu’enquêtait Sajal Bhuiyan, accompagné pour l'occasion du présentateur de l’émission de faits divers SATV Khoj, Baten Biplob.
Lorsque les deux journalistes ont voulu approcher l’un de ces chefs de canton, un certain Nasir Uddin, celui-ci, escorté de plusieurs hommes de main, les a gravement agressés et battus à coups de bâton. Dans un post publié sur Facebook, Baten Biplod a décrit la violence des coups qui ont plus spécifiquement été portés à son confrère et comment, “mu par la peur de sa vie”, il a réussi à traîner le corps de Sajal Bhuiyan sur un pousse-pousse et fuir.
Sajal Bhuiyan a été transféré en urgence à l'hôpital public de Narsingdi (photo : Baten Biplod).
“Nous appelons le parquet bangladais à ordonner sur-le-champ l’arrestation des auteurs des violences intolérables qui ont visé Sajal Bhuiyan et Baten Biplod, annonce Daniel Bastard, responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF. Plus généralement, RSF a recensé de nombreux cas d’attaques physiques, de violences policières et de harcèlement judiciaire à l’encontre des reporters qui tentent de couvrir la crise du coronavirus. Il convient au gouvernement de Sheikh Hasina de tout mettre en œuvre pour que cesse cette alarmante recrudescence d’atteintes à la liberté de la presse.”
Blessures graves
Dans l’après-midi du mardi 21 avril, Rezwan Karim Sabbir, correspondant des quotidiens Nayadiganta et Sylhet Mirror à Jaintiapur, dans le nord-est du Bangladesh, a dû être admis à l’hôpital après avoir été attaqué et gravement blessé à la tête par un responsable local, nommé Abul Hasim. Celui-ci reprochait au journaliste d’avoir publié un article dans lequel il révélait un cas de coronavirus dans le canton.
Rezwan Karim Sabbir a été admis à l'hôpital médico-universitaire MAG Osmani de Sylhet (photo : janomot.com)
Le soir même, vers 22 heures, dans le district de Thakurgaon, au nord-ouest du pays, le reporter Abdul Latif Litu, qui travaille pour le quotidien Bangladesh Pratidin et la chaîne News24, a été violemment pris à partie et battu par plusieurs policiers. Ceux-ci lui reprochaient de ne pas respecter le couvre-feu, alors que le journaliste rentrait justement chez lui après une journée de reportage sur les conditions du confinement dans son canton.
Trois jours plus tôt, le 18 avril, à Barishal, dans le sud du Bangladesh, le reporter de la chaîne Bangla Vision Kamal Hossain a été agressé par plusieurs individus alors qu’il enquêtait sur un rassemblement d’employés du Département des stupéfiants (DNC) de la ville. Réunis pour vendre de l'alcool, et ne respectant donc pas les mesures de confinement, ils n’ont pas supporté la présence du journaliste.
Violences policières
Le 16 avril, à Dacca, Tuhin Howlader, un reporter rattaché au quotidien Bangladesh Pratidin, a été violemment pris à partie par la police. Sommé de s'arrêter à un poste de contrôle, dans le cadre du confinement, il n’a pas eu le temps de se présenter aux policiers avant que l’un des officiers s’en prenne à lui et lui assène plusieurs coups de matraque. Le journaliste a dû être admis au service des urgences de la faculté de médecine de Dacca pour soigner ses blessures.
Quatre jours plus tôt, le 12 avril, à environ 200 km au nord-ouest de la capitale, près de la ville de Bogura, deux journalistes, Shahjahan Ali Babu, de la chaîne Ekattor Television, et Mazed Rahman, correspondant de Somoy Television et du Bangladesh Pratidin, ont eux aussi été victimes d’un contrôle de police qui a dérapé. Violemment appréhendés par des officiers, ils ont été agressés et emmenés de force au poste. Il a fallu l'intervention d’un supérieur pour que les deux reporters soient finalement libérés.
Représailles judiciaires
La couverture des conséquences de la crise de Covid-19 par les journalistes bangladais donne aussi lieu à des représailles judiciaires. Quatre journalistes sont ainsi poursuivis depuis le 18 avril en vertu des articles 25, 29 et 31 de la loi sur la sécurité numérique, parce qu’ils ont publié une enquête sur un autre cas de détournement d’aide alimentaire dans le district de Thakurgaon (nord-ouest).
Suite à une plainte déposée par un cadre local de la Ligue Awami, le parti au pouvoir, le correspondant local du site d’information bdnews24.com Rahim Shubho, son rédacteur en chef Toufique Khalidi, le rédacteur Shaon Amin ainsi que le rédacteur en chef par intérim du portail jagonews24.com, Mohiuddin Sarker, sont accusés d’avoir publié “des données ou des informations offensantes, fausses, diffamatoires ou suscitant la peur”. Ils risquent chacun dix ans de prison.
Le rédacteur en chef du site bdnews24.com Toufique Khalidi est poursuivi en compagnie de trois confrères (photo : bdnews24.com).
Toujours à Thakurgaon, le journaliste du Dainik Odhikar, Al Mamun Jibon, est lui aussi poursuivi en vertu de la loi sur la sécurité numérique, suite à une plainte déposée le 15 avril par la police du canton de Baliadangi. Accusé de ternir l'image de l'administration locale et de provoquer un trouble à l'ordre public, le reporter avait simplement critiqué sur Facebook l'incapacité des autorités locales à prendre des mesures efficaces pour lutter contre la pandémie de coronavirus, citant la persistance de vastes mouvements migratoires de travailleurs.
Détentions arbitraires
La veille du dépôt de cette plainte, le 14 avril, Golam Sarwar Pintu, reporter au Dainik Bangladesher Alo, a été arrêté par la police de Dacca suite à une plainte déposée, là encore, au titre de la loi sur la sécurité numérique. Selon des informations obtenues par RSF, il est reproché au journaliste d’avoir relayé, dans un article, les besoins criants d’aide alimentaire de populations défavorisées de la capitale, dans le contexte du confinement. Interpellé à son domicile, il a passé une nuit au poste de police avant d’être présenté devant le tribunal de première instance de Dacca, qui a annulé sa demande de libération sous caution et l'a renvoyé sous les verrous.
Le 10 avril, à Chittagong, dans le sud-est du Bangladesh, Nasir Uddin Rocky, journaliste au quotidien Dainik Jugantor, a été arrêté à un poste de contrôle de la police alors qu’il se rendait au bureau. Un policier qui lui reprochait de ne pas respecter le confinement l’a frappé avant de le placer sans motif en détention. L’intervention d’un officier de police supérieur a finalement permis au reporter d’être libéré.
En chute d’une place par rapport à 2019, le Bangladesh occupe la 151e place sur 180 pays dans le Classement mondial pour la liberté de la presse 2020 établi par RSF.