Kirghizistan : RSF dénonce le harcèlement de la rédaction de Temirov Live
Mise à jour: Le 19 Avril 2022, à la suite d'une nouvelle enquête sur le chef du Comité d'Etat pour la Sécurité Nationale, deux nouvelles poursuites ont été engagées contre Bolot Temirov pour falsification de documents et franchissement illégal de la frontière. Le 21 septembre, le procureur a requis 5 ans de prison. Le 28 septembre il est acquitté de 2 chefs d'accusation sur les 3, il est reconnu coupable de falsification de documents, mais sans peine car le délai de prescription a expiré.
Après une violente perquisition dans les locaux de la chaîne d'investigation kirghize Temirov Live, son fondateur, Bolot Temirov, risque cinq ans de prison. Reporters sans frontières (RSF) appelle à l'abandon des charges qui pèsent contre lui et dénonce la campagne d'intimidation qui vise les employés du média.
Lorsque la brigade de police de lutte contre les stupéfiants a pénétré dans ses bureaux, tous les membres de la rédaction de la chaîne YouTube Temirov Live ont été forcés de s’allonger au sol, puis contraints de vider leurs poches. C'est à ce moment que leur rédacteur en chef, Bolot Temirov, a compris la supercherie : des policiers venaient de placer un paquet de drogue sur lui pour pouvoir procéder à son arrestation et le poursuivre en justice pour "possession illégale de stupéfiant". Dans le cadre de l'enquête judiciaire, ils ont également arrêté l’un des collaborateurs de la chaîne, le chanteur engagé Bolot Nazarov.
Cette grossière opération policière qui a eu lieu le 22 janvier, lors de la perquisition des locaux de la chaîne d'information en ligne à Bichkek, capitale du Kirghizistan, fait suite à des mois de pression et de surveillance visant à intimider le média, qui publie notamment des enquêtes sur la corruption du régime - comme celle diffusée deux jours plus tôt sur le chef du Comité d'Etat à la sécurité nationale (GKNB), Kamtchybek Tachiev. Celle-ci mettait en lumière les liens douteux de ce proche du président kirghiz avec une entreprise pétrolière publique. Le Comité d'Etat, qui regroupe les agences de renseignement intérieur du pays, n'a cessé, depuis, de nier toute implication dans cette opération.
“Fabrication de fausse preuve, poursuites abusives, surveillance illégale, divulgation d'informations confidentielles, saisie injustifiée, chantage… Les méthodes véreuses des agents du GKNB et de la police pour faire taire l'un des rares médias d'investigation du pays sont intolérables, dénonce la responsable du bureau Europe de l'Est et Asie centrale de RSF, Jeanne Cavelier. Nous demandons l'abandon des poursuites contre son fondateur, Bolot Temirov, et son collaborateur, Bolot Nazarov, ainsi que la création d'une commission d'enquête sur les manquements de la police lors de la perquisition."
Perquisition et détention illégale
Nombre de procédures encadrant légalement une perquisition n'ont pas été respectées : celle-ci a été effectuée de nuit et sans mandat délivré par le juge d'instruction. Les enquêteurs se sont eux-mêmes arrogés le droit de mener la perquisition sous couvert d'un dispositif d'urgence dont la légitimité est contestée par les avocats de Bolot Temirov et de son collaborateur Bolot Nazarov. En outre, leur détention a été émaillée d'irrégularités : la police ne leur a pas donné la raison de leur arrestation et l'avocat de Bolot Temirov n'a pu rencontrer son client pendant plusieurs heures. Ces violations de procédure seront examinées par la justice mardi 15 février.
Libérés sous caution le lendemain de leur arrestation, ils encourent désormais jusqu'à cinq ans de prison pour "possession illégale de drogue". En attendant le procès, il est interdit à Bolot Temirov de quitter la capitale kirghize, tandis que Bolot Nazarov est assigné à résidence.
Enfin, du matériel comme les caméras de surveillance et les ordinateurs ont été confisqués sans aucun lien avec l'enquête policière pour détention de drogue. Or, dans les jours qui ont suivi la visite de la brigade de police de lutte contre les stupéfiants, "des données provenant d'ordinateurs appartenant à la rédaction saisis lors de la perquisition ont été publiées en ligne", a confié à RSF l'avocat de Bolot Temirov, indiquant avoir déposé une plainte concernant ces fuites de documents confidentiels. D'autres informations "recueillies par les services spéciaux lors d'opérations de surveillance et d'écoutes ont été diffusées sur internet", a-t-il ajouté.
Journalistes sous surveillance
Selon une enquête publiée par le réseau d'investigation Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), les locaux de la chaîne, dont les enquêtes sont diffusées sur YouTube, étaient régulièrement surveillés l’automne dernier par des individus postés dans des véhicules devant le bâtiment.
En outre, une employée de la chaîne a subi un chantage à la sextape de la part des hommes du GKNB, dont l’un avait entretenu une relation intime avec elle. Sous la menace de voir cette vidéo diffusée en ligne, elle a été contrainte de s’engager par écrit à informer le Comité d’Etat des activités de Temirov Live. La vidéo ayant été finalement diffusée sur des pages Facebook pro-gouvernementales, Bolot Temirov a saisi, la semaine dernière, le procureur de Bichkek pour atteinte à la vie privée.
Le fondateur de la chaîne, Bolot Temirov, a également été mis sur écoute chez lui pendant des semaines avant que du matériel de surveillance, relié à un serveur en ligne pour conserver les enregistrements, ne soit découvert par un proche à son domicile en décembre. Ces données personnelles piratées alimentent désormais une campagne de cyberharcèlement menée par des sites de propagande nationalistes, qui accusent le célèbre journaliste d'être "un traître" au service d'intérêts étrangers.
Le ministre de l'Intérieur a pour sa part indiqué que les forces de police seraient mises en cause si l'enquête judiciaire établissait que de la drogue avait été placée dans les poches du journaliste d'investigation pour l'incriminer. Deux policiers ayant divulgué sur les réseaux sociaux une vidéo tronquée d’examens médicaux passés par Bolot Temirov pour faire croire qu'il avait consommé de la drogue ont été sanctionnés, a affirmé le procureur général, sans préciser la nature des sanctions.
Le Kirghizistan occupe la 79e place sur 180 au Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF en 2021.