Jordanie : Hiba Abu Taha, première journaliste condamnée sous le coup de la loi sur la cybercriminalité dénoncée par RSF
La journaliste d’investigation Hiba Abu Taha a été condamnée à un an de prison en vertu d’une loi liberticide sur la cybercriminalité adoptée en 2023. Reporters sans frontières (RSF) dénonce une condamnation inique et demande sa libération immédiate.
Pour avoir évoqué des liens présumés entre des entreprises jordaniennes et israéliennes dans le contexte de la guerre à Gaza, la journaliste d’investigation Hiba Abu Taha a écopé d'un an de prison. Cette peine de prison sans sursis a été prononcée le 11 juin, par un tribunal à Amman, après que la journaliste jordanienne d'origine palestinienne a passé un mois en détention.
Son arrestation dans la soirée du 13 mai avait fait suite à une plainte déposée par la Commission jordanienne des médias, accusant Hiba Abu Taha d'avoir “incité à la sédition et à la discorde entre les membres de la communauté”, d’avoir “menacé la paix de la communauté et d'avoir incité à la violence”. Et ce, quelques jours après la publication, le 28 avril, de l'article d'opinion de Hiba Abu Taha par le média en ligne Annasher.
Le procureur général d'Amman a placé la journaliste en détention pour “diffusion de fausses nouvelles” et “incitation à la sédition” en vertu de la loi sur la cybercriminalité, déjà qualifiée de “liberticide” par RSF. L’avocat de Hiba Abu Taha a déposé une demande de mise en liberté sous caution à dix reprises et a été rejeté à chaque fois.
"Une peine de prison pour une journaliste est un scandale pour la Jordanie, l'un des rares pays de la région à ne pas avoir de reporters derrière les barreaux. Cette condamnation marque un recul immense pour les libertés de la presse dans le royaume et menace non seulement la sécurité de Hiba Abu Taha, mais aussi celle de tous les reporters. RSF avait alerté sur les dangers de la nouvelle loi sur la cybercriminalité. Elle doit être révoquée immédiatement, tout comme la condamnation de Hiba Abu Taha.
La condamnation de Hiba Abu Taha : une menace pour la presse
Depuis décembre 2023, les arrestations de journalistes, la censure de leur travail, et les intimidations envers eux se multiplient. Les journalistes couvrant des manifestations de soutien à Gaza ou révélant des informations liées aux relations jordano-israéliennes sont particulièrement visés par cette répression, qui s’appuie particulièrement sur la loi sur la cybercriminalité.
La journaliste indépendante Nour Haddad a été arrêtée en décembre 2023 pendant une semaine, en vertu de l’article 15 de la loi sur la cybercriminalité. En mars 2024, le correspondant du site d’information Arabic Post Khair Eddin Aljabri a été détenu pendant une semaine en vertu de l'article 17 de la même loi, pour avoir prétendument “incité à la haine, prôné ou justifié la violence”, après avoir couvert des manifestations à Amman contre la guerre à Gaza. Le 6 mai 2024, la journaliste indépendante Israa al-Sheikh a été détenue pendant des heures à l'aéroport international Queen Alia, après avoir été informée qu'elle faisait l'objet d'une procédure en cours au regard de la loi sur la cybercriminalité. Aucun détail supplémentaire n'a été fourni.
Les articles 15 et 17 de la loi sont les plus souvent utilisés pour justifier les arrestations. L'article 15 prévoit une peine de trois mois d'emprisonnement ou d'une amende minimale de 5 000 dinars [presque 6 550 euros] pour “toute personne qui publie intentionnellement des informations via un site web ou des plateformes de médias sociaux qui contiennent des fausses nouvelles, de la calomnie ou de la diffamation”. L'article 17, quant à lui, impose une peine d'emprisonnement d'un à trois ans ou d'une amende minimale de 5 000 dinars pour les personnes accusées “d'utiliser un site web ou une plateforme de réseaux sociaux pour publier tout ce qui peut inciter à la sédition ou la discorde, inciter à la haine, prôner ou justifier la violence, ou diffamer les religions”.