Inde : entraves répétées contre les reporters qui couvrent les manifestations paysannes à New Delhi
Au moins dix journalistes sont poursuivis après avoir fait état de l’actuel mouvement de protestation d’agriculteurs en banlieue de New Delhi. Reporters sans frontières (RSF) demande l’abandon des charges portées contre eux.
Interpellations, accusations de sédition, censure des réseaux sociaux… Les autorités indiennes ont radicalement durci le ton face aux journalistes qui tentent de couvrir le mouvement de protestation qui mobilise, depuis plus de deux mois, plusieurs milliers d’agriculteurs à New Delhi - et qui a dégénéré dans la violence au soir du 26 janvier, lors de la fête nationale indienne du Jour de la République.
Lundi 1er février, plusieurs comptes Twitter, dont ceux de nombreux journalistes, ont été suspendus. Leur seul point commun était de porter des mots-dièse en lien avec ces manifestations.
Selon l’agence Asia News International (ANI), l’ordre de suspendre ces comptes aurait été imposé à Twitter par le ministère de l’Intérieur. ANI avance le nombre de 250 tweets et comptes Twitter censurés. Parmi ceux-ci, tous les comptes du magazine The Caravan et de ses journalistes ont été rendus inactifs. La plupart des comptes suspendus ont finalement été rétablis dans la soirée.
Deux jours plus tôt, samedi soir, le reporter indépendant Mandeep Punia, qui collabore lui-même à The Caravan, a été arrêté peu après avoir publié une enquête selon laquelle le Bharatiya Janata Party, au pouvoir en Inde, a envoyé ses militants attaquer les agriculteurs protestataires. D’abord accusé d’obstruction au travail de la police, puis de violence, le reporter a été placé en détention pour 14 jours sans avoir eu accès à un avocat.
Accusés de sédition
Un autre journaliste, Dharmender Singh, qui travaille pour l’agence Online News India, a été arrêté en même temps que Mandeep Punia. Il a été relâché dimanche matin.
Une information judiciaire a par ailleurs été ouverte contre le rédacteur en chef et fondateur du site d’information The Wire, Siddharth Varadarajan, pour incitation à la haine et préjudice à l’intégrité nationale, deux accusations passibles chacune de cinq ans de prison. En cause, un article consacré à la mort de Navreet Singh, un manifestant décédé durant les affrontements du 26 janvier, vraisemblablement à la suite de violences policières. Elle aussi rattachée à The Wire, la journaliste Ismat Ara a appris aujourd'hui qu'elle est visée par la même accusation.
Pour avoir évoqué ces mêmes événements, six autres journalistes se retrouvent poursuivis pour sédition, une accusation qui peut leur valoir la prison à vie. On retrouve parmi eux deux directeurs d’édition de The Caravan, Vinod K. Jose et Anant Nath, ainsi que la journaliste et auteure Mrinal Pande, le rédacteur en chef de l’hebdomadaire National Herald Zafar Agha, l’éditorialiste Rajdeep Sardesai, et le dessinateur de presse Paresh Nath.
“Les autorités indiennes se sont lancées ces derniers jours dans une course contre la liberté de la presse qui place le pays sur la voie d’un inquiétant autoritarisme, déplore le responsable du bureau Asie-Pacifique de RSF, Daniel Bastard. Nous appelons le ministre de l’Intérieur Amit Shah à ordonner la libération de Mandeep Punia et l’abandon immédiat des charges absurdes qui pèsent contre les reporters qui ont tenté de couvrir les manifestations paysannes.”
Il y a un peu moins d’un an, RSF dénonçait les nombreuses atteintes à la liberté de la presse, permises notamment par une passivité complice des forces de police, lors de graves affrontements intercommunautaires qui avaient là aussi eu lieu en banlieue de New Delhi.
L’Inde se situe à la 142e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.