Gabon : l’audiovisuel public déclenche une grève inédite
Les groupes Radio Gabon et Gabon Télévision sont en grève à l'initiative du syndicat des professionnels de la communication (SYPROCOM) qui dénonce l’ingérence du pouvoir et le non paiement des arriérés de salaire. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités de ne pas entraver l’indépendance éditoriale des médias publics.
Salaires impayés, ingérence dans la ligne éditoriale, matériel vétuste, c’en est trop pour les journalistes de Radio Gabon et Gabon Télévision. Près de sept cents employés des deux groupes de l’audiovisuel public ont choisi d’exprimer leur ras-le-bol en lançant lundi 30 avril une grève inédite par son ampleur: plus aucune émission n’est diffusée, les deux chaînes d’information sont réduites au service minimum, c’est à dire à deux journaux télévisés quotidiens.
“Depuis deux ans, le ministre de la Communication a pris l’habitude de donner des consignes à la rédaction pour que tout fonctionne à son idée”, dénonce Edgard Ndziembi Doukaga, le vice-président du syndicat des professionnels de la communication, le SYPROCOM joint par Reporters sans frontières (RSF). Au cours d’une émission sur Gabon 24 en mars 2018, dans laquelle le ministre de l’Agriculture était invité, le directeur général de la chaîne publique a ainsi reçu un appel express du ministre de la Communication lui intimant d’arrêter l’émission. Un ordre appliqué à la lettre: le programme a été immédiatement interrompu.
Les journalistes grévistes dénoncent, entre autres, le fonctionnement de la chaîne d’information publique Gabon 24, créée en 2016 et directement rattachée au ministère de la Communication. Les journalistes de cette chaîne doublon sont payés presque deux fois plus que le personnel de Gabon TV, qui doit faire face de son côté à des arriérés de salaires de plus d’un an. Par ailleurs, le SYPROCOM reproche au ministre de la Communication l’organisation de castings auprès de présentateurs de Gabon TV et Radio Gabon, pour leur apprendre à présenter l’information “de la manière qui lui plaît”, explique Angèle Révignet, un des membre du bureau. « C’est bien simple, tout se gère au ministère, depuis la programmation jusqu’au financement” conclut-elle. Contacté par RSF, le ministre de la Communication, Alain-Claude Bilie-By-Nze confirme avoir organisé ces castings. “Il n’y a pas de mal à ça, a-t-il déclaré, j’ai fait appel à des professionnels qualifiés qui étaient libres de refuser”.
Les journalistes de l’audiovisuel réclament un retour à l’indépendance éditoriale pour les chaînes publiques qui demeurent les principaux relais d’information pour les habitants, à Libreville comme en province.
“A force d’apparaître comme le simple relai de la communication gouvernementale, l’audiovisuel public gabonais a non seulement perdu sa crédibilité mais également le soutien de ses journalistes, estime Arnaud Froger, responsable du bureau Afrique de RSF. L’expression de ce ras-le-bol doit être l’occasion pour les autorités de développer enfin de véritables médias de service public, rendant compte d’une information impartiale et sans ingérence, au service de tous les Gabonais.”
Le Gabon reste à la 108e place dans le classement mondial de la liberté de la presse 2018 établi par RSF.