Espionnage d'état en Allemagne : plusieurs recours intentés par RSF

RSF Allemagne a saisi la justice contre les capacités de piratage et d'espionnage des services de renseignement allemands à l’encontre des journalistes. Le problème se pose également de façon cruciale en France.

Reporters sans frontières (RSF) Allemagne, l’association berlinoise Whistleblower-Netzwerk ainsi que des journalistes d’investigation d’outre-Rhin intentent une action en justice contre les services de renseignement allemands. Objet de la procédure : la surveillance numérique des communications qui pourrait permettre un espionnage d'État des journalistes et des professionnels des médias.

 

Avec sa réforme de la loi sur la protection de la Constitution de juin 2021, le Bundestag allemand a autorisé pour la première fois tous les services de renseignement à utiliser des logiciels espions pour s’infiltrer dans les smartphones et ordinateurs. Ils peuvent également enregistrer des messages et des appels téléphoniques cryptés via les Signal, Telegram, WhatsApp et consort.

 

Les journalistes peuvent ainsi devenir aisément la cible de ces mesures de surveillance du simple fait qu’ils sont professionnellement en contact avec des personnes auxquelles les services de renseignement s’intéressent : simples contacts, informateurs, activistes ou autres...

 

RSF et les requérants considèrent que cette possibilité constitue un risque très grave d’atteinte à la confidentialité des sources des journalistes et que cela constitue un risque réel pour les enquêtes d’investigation menées par les médias en Allemagne. Des requêtes en référé ont été déposées auprès de différentes juridictions administratives visant à interdire au service fédéral de renseignement allemand, à l’Office fédéral et aux offices régionaux de protection de la Constitution ainsi qu’à l’agence de contre-espionnage militaire d’utiliser des outils de surveillance numérique des communications à l’encontre et à l’insu des personnes non suspectes ou non directement impliquées dans les enquêtes, à commencer par les journalistes.

 

« Cette loi est aussi une menace contre les lanceuses et les lanceurs d’alerte dans l’espace numérique, déclare Christian Mihr, directeur de RSF Allemagne.  Elle peut aussi avoir des conséquences majeures pour les journalistes d’investigation. Une fois de plus, nous attaquons en justice une loi déclarée inconstitutionnelle par des experts et qui a pourtant été adoptée à la hâte et sans tenir compte des conséquences qu’elle peut avoir pour le journalisme et la liberté de la presse en Allemagne. »

 

En mai dernier, les juristes consultés par la commission de l’Intérieur du Bundestag avaient mis en garde contre le risque élevé d’abus concernant ces nouveaux pouvoirs de piratage accordés aux services de renseignement. Avec cette loi, « nous fonçons tête baissée vers l’anticonstitutionnalité », déplore Benjamin Rusteberg, expert juridique installé à Göttingen. RSF Allemagne avait mis en garde à plusieurs reprises contre l’érosion des dispositions visant à protéger l’activité des  journalistes.

 

Les journalistes, cibles de la surveillance d’État

RSF Allemagne, avec le soutien du cabinet Härting Rechtsanwälte, a donc déposé une requête en référé devant la Cour administrative fédérale de Leipzig. Les journalistes d’investigation Martin Kaul du réseau WDR Investigativ, membre du conseil d’administration de RSF Allemagne et Christian Fuchs, collaborateur du journal Die Zeit, ont entamé la même démarche devant le tribunal administratif de Cologne. Christina Schmidt, journaliste d’investigation plusieurs fois primée, également collaboratrice de Die Zeit, a elle aussi engagé une action contre l’autorisation d’utiliser des logiciels-espions accordés aux agences de renseignement.

 

Spécialistes des sujets les plus sensibles, Martin Kaul, Christian Fuchs et Christina Schmidt, travaillent depuis des années sur les réseaux d’extrême droite et sont régulièrement en contact avec des personnes ciblées par la surveillance des services de renseignement et de l’agence de contre-espionnage militaire. Ils craignent que cette nouvelle législation permette non seulement aux autorités chargées de la sécurité de mieux connaître leurs cibles potentielles, mais aussi d’en apprendre davantage sur les échanges avec les sources journalistiques, les processus éditoriaux et, par exemple, les intentions de publication. Autre critique grave : les personnes espionnées ne savent jamais -- ou difficilement -- qu’elles l’ont été. 

 

Ainsi, dans le cadre de ses échanges avec des journalistes d’investigation étrangers, RSF Allemagne court le risque accru d’être la cible de la surveillance du service fédéral de renseignement d’Outre-Rhin. Ce scénario est d’autant plus préoccupant que, selon plusieurs médias allemands, cet organe utilise le logiciel espion Pegasus.  

 

RSF Allemagne a également saisi la justice contre l’absence de procédure de recours efficace contre les mesures de surveillance numérique des services de renseignement en déposant une requête devant la Cour européenne des droits de l’homme. Les différents référés soulèvent également la question de savoir si la loi dite G10, qui régit les restrictions du droit fondamental au secret des communications, peut servir de base pour encadrer les restrictions du droit fondamental à la confidentialité et à l'intégrité des systèmes d’information. 

 

En France, avec la loi du 30 juillet 2021 relative à la prévention d’actes de terrorisme et au renseignement, les services de sécurité disposent aussi de nouveaux moyens de surveillance. Cette nouvelle loi vient notamment pérenniser la possibilité pour les services de renseignement d’avoir recours à la technique dite de l’algorithme, qui n’était prévue qu’à titre expérimental dans la loi de 2015. Cette technique permet d’effectuer un traitement automatisé des données de connexion et de navigation sur Internet, avec l’aide des fournisseurs d'accès. Comme en Allemagne de sérieuses craintes existent quant à la possibilité que des journalistes et leurs sources ne puissent être surveillés, directement ou de façon incidente, les gardes-fou prévus par les textes étant insuffisants.

 

En Allemagne comme en France, la plus grande vigilance s’impose donc pour empêcher la surveillance numérique généralisée des journalistes et des professionnels des médias.

  L’Allemagne se situe actuellement à la 13e place et la France à la 34e place sur 180 pays dans l’édition 2021 du Classement mondial de la liberté de la presse publié par RSF

Publié le
Updated on 05.11.2021