Enlèvement d’un journaliste azerbaïdjanais en Géorgie : “un précédent extrêmement inquiétant”
Exilé en Géorgie, le journaliste azerbaïdjanais Afgan Moukhtarly a été enlevé dans la soirée du 29 mai 2017 avant de réapparaître 24 heures plus tard, emprisonné dans son pays d’origine. Reporters sans frontières (RSF) demande aux autorités géorgiennes de s’expliquer au plus vite et aux autorités azerbaïdjanaises de libérer le journaliste.
C’est un précédent extrêmement inquiétant pour les dizaines d’autres dissidents azerbaïdjanais exilés en Géorgie. Après avoir quitté ses collègues dans la soirée du 29 mai, le journaliste Afgan Moukhtarly a pris le chemin de son domicile dans la capitale géorgienne, Tbilissi, mais il n’y est jamais arrivé. Il est réapparu le lendemain à Bakou, entre les mains des garde-frontières azerbaïdjanais.
Les autorités géorgiennes doivent s’expliquer
“Les autorités géorgiennes doivent immédiatement expliquer ce qui est arrivé à Afgan Moukhtarly et donner des gages de sécurité aux autres exilés azerbaïdjanais, déclare Johann Bihr, responsable du bureau Europe de l’est et Asie centrale. Que le journaliste ait été enlevé par un commando étranger ou que les forces de sécurité géorgiennes se soient rendues complices de la répression azerbaïdjanaise, il s’agit d’un incident grave qui ne saurait rester sans conséquences.”
D’après l’avocat Eltchin Sadygov, qui a pu lui rendre visite dans la soirée du 30 mai, le journaliste portait des traces de coups au visage. Il craint d’avoir une côte cassée. Afgan Moukhtarly raconte avoir été enlevé près de son domicile, poussé dans une voiture, ligoté et passé à tabac. Ses ravisseurs lui ont mis un sac sur la tête après avoir quitté Tbilissi. Ils ont changé deux fois de véhicule et lui ont mis 10 000 euros dans les poches à la frontière azerbaïdjanaise, ce qui lui vaut désormais d’être accusé de “contrebande”, “franchissement illégal de la frontière” et “refus d'obtempérer aux forces de l'ordre”.
Le journaliste affirme que ceux qui l’ont capturé semblaient géorgiens, mais que les passagers des deux dernières voitures parlaient azéri. Son avocat a demandé à ce qu’il fasse l’objet d’un examen médical et que les enregistrements de surveillance du poste-frontière soient versés au dossier.
Afgan Moukhtarly est en danger
“Afgan Moukhtarly est désormais exposé à la torture et aux mauvais traitements : nous exigeons sa remise en liberté immédiate, ajoute Johann Bihr. Brandir des accusations fantaisistes contre les journalistes indépendants est une pratique habituelle en Azerbaïdjan. Le régime d’Ilham Aliev vient de démontrer une fois de plus sa capacité de nuisance hors de ses frontières : il est grand temps d’y répondre avec toute la fermeté requise.”
Afgan Moukhtarly avait quitté l’Azerbaïdjan en 2014 pour échapper à la vague de répression qui s’abattait sur la société civile. Le journaliste d’investigation et activiste collaborait depuis Tbilissi avec Meydan TV et IWPR. Il avait récemment fait part à la presse de son inquiétude pour sa sécurité et celle des autres dissidents azerbaïdjanais exilés en Géorgie, affirmant faire l’objet d’une surveillance étroite. Le journaliste avait été cité début mai par un site internet pro-gouvernemental azerbaïdjanais, qui décrivait Tbilissi comme un foyer d’agitateurs hostiles.
De son côté, la société civile géorgienne s’est rapidement mobilisée : une manifestation s’est tenue le 31 mai devant le siège du gouvernement à Tbilissi pour exiger des explications. Le ministère de l’Intérieur géorgien a annoncé le même jour l’ouverture d’une enquête pour “séquestration illégale” et des discussions avec la partie azerbaïdjanaise.
Soixante-quatrième sur 180 pays au Classement mondial 2017 de la liberté de la presse, la Géorgie faisait jusqu’à récemment figure de refuge naturel pour les journalistes fuyant la répression en Azerbaïdjan, qui pointe à la 162e place. Non content d’avoir anéanti toute espèce de pluralisme, le président azerbaïdjanais Ilham Aliev mène depuis 2014 une guerre impitoyable contre les dernières voix critiques. Pas moins de 15 journalistes, blogueurs et collaborateurs des médias sont actuellement emprisonnés du fait de leur activité d’information.