Dérive autoritaire au Guatemala : la presse muselée n'est pas en mesure de couvrir librement l'élection présidentielle du 25 juin
A la veille de l’élection présidentielle au Guatemala, Reporters sans frontières (RSF) et neuf organisations dénoncent dans un rapport commun une politique de terreur et de persécution contre les journalistes et les médias, qui ne seront pas en mesure de couvrir le scrutin dans de bonnes conditions.
Dans un contexte préoccupant de régression des libertés au Guatemala, RSF publie avec neuf organisations partenaires, un rapport sur la liberté de la presse basé sur des entretiens menés avec des journalistes, des médias et plusieurs organisations de la société civile réalisée lors d'une mission internationale dans le pays en mai. Ses conclusions sont sans appel.
Les violences et le harcèlement à l'encontre de la presse ont augmenté de manière inquiétante ces trois dernières années. C’est tout un système d'intimidation qui s'intensifie dans le pays où la presse est considérée comme une menace. L'alliance à peine tacite entre l'État et des hommes d'affaires liés au crime organisé, contrôle les institutions et entretient la corruption et l'impunité. Dans ce contexte, le harcèlement et la criminalisation des journalistes sont devenus une nouvelle forme de censure.
La récente condamnation du fondateur du quotidien El Periódico, José Rubén Zamora, à six ans de prison est l’une des illustrations du musèlement de la presse dans le pays. Pour la seule année 2022, l'Association des journalistes du Guatemala (APG) a recensé 107 attaques contre la presse, et près de 400 pendant tout le mandat du président Alejandro Giammattei. L'instrumentalisation politique du pouvoir judiciaire pour persécuter les médias, illustrée par le harcèlement contre le journal critique El Periódico, contribue à pousser de nombreux journalistes à l’exil. La peur des journalistes guatémaltèques d'aller couvrir les élections est palpable, et ils sont de plus en plus nombreux à ne plus signer leurs écrits par crainte de représailles, ou à cesser de couvrir des sujets sensibles.
Les journalistes membres des communautés autochtones se trouvant dans les régions les plus éloignées de la capitale, sont particulièrement vulnérables aux attaques, allant du harcèlement judiciaire aux menaces de mort. Souvent liées à la dénonciation des activités de grands groupes étrangers exploitant les ressources naturelles et minières, elles sont le fait d'agents de sécurité privée, de responsables politiques, mais aussi de candidats aux élections.
La spirale de répression contre la presse et l'augmentation des attaques envers les journalistes au Guatemala sont symptomatiques du recul démocratique qui a marqué les derniers mandats de Jimmy Morales et de l'actuel président Alejandro Giammattei. Les journalistes et médias du pays font face à une politique de terreur et de persécution, victime d'une alliance au pouvoir qui n'hésite pas à criminaliser les voix critiques. Ce contexte ne permet tout simplement pas aux journalistes de couvrir dans de bonnes conditions les scrutins à venir. Il est crucial pour l’avenir du pays que le futur président se saisisse de ces questions et prenne des mesures pour enrayer ces phénomènes mortifères.
RSF et ses partenaires, dresse, dans leur rapport, une liste de recommandations à l'État guatémaltèque, parmi lesquelles :
- Respecter les obligations internationales en matière de liberté d'expression découlant des différents traités relatifs aux droits de l'homme ratifiés par l'État guatémaltèque.
- Cesser d’instrumentaliser la loi et le pouvoir judiciaire pour persécuter la presse, et garantir une procédure régulière dans toutes les affaires impliquant des journalistes.
- Libérer immédiatement le journaliste et propriétaire d'El Periódico, José Rubén Zamora, et abandonner immédiatement les poursuites et enquêtes visant ses avocats et huit anciens collaborateurs du journal.
- Dans les meilleurs délais, soutenir publiquement et avec clarté la liberté de la presse et la protéger, afin de garantir un processus électoral légitime et démocratique, en établissant des conditions sûres et propices à l'exercice du travail journalistique dans tout le pays.
Lire le rapport complet ici. Ce rapport a été co-rédigé par RSF, les organisations Freedom House, Article 19, Free Press Unlimited, Protection International MesoAmerica, FLIP, CPJ, IFEX-ALC, Fundamedios et Voces del Sur qui ont toutes participé à la mission internationale d’observation réalisée au Guatemala courant mai 2023.