Crise financière en Turquie : “restaurer l’État de droit plutôt que lancer une nouvelle chasse aux sorcières”
Confrontées à une crise financière sans précédent depuis plus de quinze ans, les autorités turques cherchent des coupables. Reporters sans frontières (RSF) craint que les journalistes indépendants soient de nouveau désignés comme des boucs émissaires et appelle à la restauration de l’État de droit.
C’est devenu une habitude : face aux mauvaises nouvelles, les autorités turques tirent sur le messager. Alors que le cours de la livre turque s’effondre, le ministère de l’Intérieur, le parquet d’Istanbul et le gendarme boursier ont ouvert le 13 août des centaines d’enquêtes contre les “manipulations dans les médias et sur les réseaux sociaux”, qui “menacent la sécurité économique” du pays en “créant une perception négative”. Les personnes visées risquent jusqu’à cinq ans de prison. La présidence a quant à elle dénoncé une “campagne de désinformation, partie intégrante de la guerre économique” menée contre la Turquie “par les forces déjà à l’œuvre” derrière le mouvement Occupy Gezi en 2013 et la tentative de putsch de 2016.
“Ces annonces laissent craindre une nouvelle chasse aux sorcières contre les dernières voix critiques du pays, s’alarme le représentant de RSF sur place, Erol Önderoğlu. La Turquie n’en serait pas arrivée là sans la disparition de l’État de droit : le restaurer favoriserait le retour de la confiance bien plus efficacement que de désigner de nouveaux boucs émissaires. Le pays a plus que jamais besoin d’un journalisme indépendant, gage de transparence et d’information fiable.”
Sur fond de tensions entre Ankara et Washington, la crise financière nourrit la rhétorique patriotique officielle. Tandis que le président Erdoğan déclarait la semaine dernière : “s’ils ont le dollar, nous avons notre peuple, notre bon droit et Allah”, le quotidien progouvernemental Sabah se lançait dans de virulentes attaques contre la joint-venture américano-turque FOX TV, désignée comme “le bras médiatique de l’attaque terroriste américaine” contre l’économie nationale. Le 10 août, cette chaîne a mis fin au contrat du chef de son bureau à Ankara, Sedat Bozkurt, invoquant des questions administratives. Mais les collègues de ce journaliste réputé, en poste depuis 2007, voient dans son licenciement une concession de FOX TV au pouvoir.
La livre turque a perdu plus de 40% de sa valeur face au dollar depuis le début de l’année. La débâcle s’est singulièrement accélérée suite aux sanctions économiques imposées par les États-Unis, le 10 août, suite à l’assignation à résidence du pasteur américain Andrew Brunson en Turquie.
La Turquie occupe la 157e place sur 180 pays au Classement mondial de la liberté de la presse établi en 2018 par RSF. Déjà très préoccupante, la situation des médias est devenue critique suite à la tentative de putsch de juillet 2016 : près de 150 médias ont été fermés, les procès de masse se succèdent et le pays détient le record mondial du nombre de professionnels des médias emprisonnés.