Couverture des actes terroristes par les médias audiovisuels : RSF préoccupé par le “code de bonne conduite” du CSA

La loi du 21 juillet 2016 prorogeant l'état d'urgence assigne au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) la tâche d’élaborer “un code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes”. Reporters sans frontières (RSF), qui a participé à une consultation organisée dans ce cadre par le CSA, émet ici de sérieuses réserves sur ce code, tant au niveau du processus d’élaboration que de son utilité.

Après plusieurs reportages qui avaient suscité des critiques sur le mode de traitement, par les chaînes d’information notamment, des attentats terroristes (révélations en direct par BFM de la présence d’otages au sous-sol de l’Hyper Casher de la porte de Vincennes, interview par France 2 d’un mari à côté du corps de son épouse, à Nice le 14 juillet…), le CSA s’est vu confier, par la loi, la mission de rédiger un “code de bonne conduite relatif à la couverture audiovisuelle d'actes terroristes”. Le contenu comme la force obligatoire de ce code, qui est actuellement en cours de rédaction par le régulateur de l’audiovisuel, sont pour l’instant incertains.


Si l’objectif de ce code peut être légitime (protéger les victimes, la présomption d’innocence, le travail de la police…), RSF déplore la manière avec laquelle il va être élaboré : Le CSA, après avoir entendu les TV et radios, et certains acteurs du secteur comme RSF, devrait rédiger son texte en octobre, pour publication à la fin du mois. Malgré ce qui est présenté par le CSA comme une “large concertation”, c’est en réalité unilatéralement, dans son coin, que le gendarme de l’audiovisuel va élaborer ce texte. Il n’y aura en effet pas davantage de consultations ni de concertation, pas de discussions autour d’un avant-projet, pas de négociations sur le contenu avec la profession. RSF dénonce avec force ce processus qui, sur des questions de déontologie, de pratique du métier de journalisme, de liberté éditoriale, demande à une autorité administrative de venir fixer ce qui correspond ou non à une bonne conduite. Ces questions relèvent de l’autorégulation, et c’est à la profession, et non au régulateur, que le législateur aurait dû demander de travailler à des règles déontologiques communes.


On peut aussi relever le caractère particulièrement infantilisant pour les journalistes TV et radio de l’appellation de “code de bonne conduite”, pour un texte qui sera rédigé par une instance extérieure à la profession. Si des erreurs ont été commises, si l’urgence a mené à des appréciations parfois très maladroites, il ne faudrait pas laisser entendre que les rédactions ne s’interrogent pas déjà sur la façon la plus appropriée de couvrir les attentats terroristes. Ce sont ces rédactions qui, à chaud, doivent informer le public sur des évènements que les citoyens veulent connaître immédiatement. Et c’est au quotidien, en permanence, au cas par cas et dans l’urgence, qu’elles s’interrogent sur la meilleure façon de rapporter des faits qui sont, pour tous, bouleversants.


Au-delà de la forme, l’intérêt d’élaborer un tel code est douteux. En effet, soit il viendra rappeler des règles déjà existantes, que le CSA est déjà chargé de faire respecter, auquel cas se pose la question de son utilité, soit il viendra surajouter des obligations à celles qui pèsent déjà sur les TV et radios, auquel cas il sera dépourvu de valeur légale - le CSA n’étant pas compétent pour édicter de nouvelles normes contraignantes dans une matière, la liberté d’expression et d’information, qui relève des droits fondamentaux. De même, s’il est trop généraliste, il s’avérera inopérant pour résoudre des problèmes qui relèvent souvent du cas par cas. S’il est trop précis, il risque d’instaurer une sorte de “principe de précaution” en matière d’information, qui ne pourra qu’être le prémice à une forme de censure préventive.


On ne peut dès lors que s’inquiéter du contenu de ce code, et de sa force obligatoire. S’il est présenté par le CSA comme du “droit souple”, qui n’a pas vocation à densifier les obligations qui pèsent sur les chaînes, toujours est-il que son non-respect pourra entraîner l’application de toute la palette des sanctions dont dispose le CSA. C’est donc bien un texte contraignant que va édicter le CSA.


Sur le contenu, ce code risque de graver dans le marbre et de pérenniser des pratiques et comportements liés à l’état d’urgence. Sa création s’inscrit dans une série de mesure liées à la lutte contre le terrorisme et l’instauration de l’état d’urgence, mais il sera applicable au-delà, et toutes les précautions qu’il pourra imposer aux rédactions, toutes les restrictions qu’il cherchera à leur faire admettre continueront à peser le jour où l’état d’urgence sera abrogé. Dans des affaires comme celles de Tarnac ou des Irlandais de Vincennes, que les autorités avaient en leur temps abusivement présenté comme relevant du terrorisme, ce sont alors autant de précautions et de restrictions qui viendraient entraver les journalistes dans leur recherche de la vérité.


RSF rappelle donc que ce code de bonne conduite ne saurait introduire aucune limite supplémentaire à la liberté d’expression à celles déjà existantes, consacrées en France comme en droit international. La liberté de l’information, le droit d’informer et d’être informé, est un principe, qui connaît certaines limitations listées très restrictivement. Le code du CSA ne pourra être plus restrictif, sauf à porter atteinte à l’un des principes les plus fondamentaux de notre système démocratique.


RSF ne saurait donc accueillir ce code favorablement que s’il se résume à une sorte de “guide pratique”, de notice explicative du droit existant, à destination des rédactions en l’absence de leurs services juridiques, à l’attention du journaliste débutant qui doit traiter dans l’urgence une actualité brûlante. Au delà d’un simple rappel ou d’une explication de la loi, il ne saurait être reconnu aux dispositions de ce code la moindre valeur légale.

Publié le
Updated on 13.10.2016