Cameroun : RSF demande la libération d'Ahmed Abba (RFI), détenu arbitrairement depuis un an
Ce 30 juillet marque le premier anniversaire de la détention d’Ahmed Abba, le correspondant de Radio France Internationale (RFI) en langue Haoussa au Cameroun. Depuis son arrestation, Reporters sans
frontières (RSF) dénonce cette incarcération arbitraire et abusive, et demande la libération immédiate du journaliste et l’abandon des poursuites à son encontre.
Arrêté à Maroua à l’extrême nord du pays le 30 juillet 2015, Ahmed Abba est aujourd’hui poursuivi pour “complicité d’actes de terrorisme” et “non-dénonciation d’actes de terrorisme” devant le tribunal militaire de Yaoundé. Jugé en fonction de la loi anti-terroriste de 2014, il risque la peine de mort.
Ce 3 août, une nouvelle audience de son procès doit se tenir, la sixième depuis l’ouverture de la procédure en novembre 2015. Pourtant, depuis huit mois, le dossier n’a toujours pas été examiné sur le fond. Des reports répétés dus à des changements de juges, des hasards du calendrier et surtout l’incapacité apparente de l’accusation à produire des témoins à charge contre le journaliste.
L’avocat d’Ahmed Abba, Maître Charles Tchoungang dit avoir lui-même été victime d’un enlèvement visant à l’empêcher de défendre son client. A la veille de l’audience prévue le 25 avril, il a été enlevé et drogué par des inconnus et a failli ne pas pouvoir se présenter au tribunal pour représenter son client.
Joint par Reporters sans frontières, Maître Tchoungang, l’avocat du journaliste, nous livre son analyse du dossier en cours.
RSF. L’audience du 3 août sera la sixième en un an depuis qu’Ahmed Abba est en détention. Mais son dossier n’a toujours pas été examiné par les juges?
MT. Exactement. Il faut dire que son cas est particulier. D’abord, pendant trois mois après son arrestation, personne ne savait où il se trouvait ou ne voulait le dire, avant que les autorités avouent le détenir secrètement. Et encore, il avait fallu saisir la Présidence. Il avait été transferré auprès des services de renseignements à Yaoundé, interrogé sans la présence d’un avocat, puis renvoyé directement devant le tribunal militaire, sans instruction du dossier. Pendant ce temps-là, il a aussi clairement subi de mauvais traitements physiques et psychologiques. Lors de la prochaine audience nous demanderons que soit fixée une session spéciale afin que le dossier soit enfin examiné sur le fond.
RSF. Ce journaliste est donc aujourd’hui jugé devant une juridiction militaire?
MT. Oui, Ahmed Abba est poursuivi sous le coup d’une juridiction d’exception, la loi anti-terroriste de décembre 2014, qui déroge au code pénal. Les principes d’un procès équitable n’ont absolument pas été respectés. Nous avons dénoncé ces nombreuses violations de ses droits constitutionnels et demandé en avril l’annulation de la procédure, mais les juges n’ont pas souhaité en tenir compte. Aujourd’hui il risque la peine de mort, et pourtant le dossier est absolument vide de tout élément de preuve contre lui.
RSF. D’autres journalistes poursuivis pour des chefs d’accusation similaires, Baba Wame, Rodrigue Ndeutchoua Tongue et Félix Cyriaque Ebolé Bola, comparaissent libre. Pourquoi un traitement différent pour Ahmed Abba?
MT. Ma conviction c’est qu’il était au mauvais endroit au mauvais moment. Il a d’abord été arrêté dans un contrôle de routine, mais lorsque les forces de l’ordre ont appris qu’il était correspondant de RFI, alors il a été transféré à la police politique à Yaoundé et accusé de donner des informations aux ennemis du pays. J’ai moi-même revu toute sa production journalistique et elle est irréprochable. Pour moi, sa seule circonstance aggravante est qu’il travaille pour une grande radio française. Vous savez, il y a un vaste courant anti-français dans l’opinion au Cameroun et certaines autorités ont peut-être souhaité faire un “coup”.
Ce que nous souhaitons aujourd’hui, c’est que M. Abba puisse recouvrer sa liberté, sa famille et surtout son travail. J’ai l’intime conviction de défendre un innocent.
Le Cameroun a ratifié la Charte africaine des droits de l'homme et des peuples, et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP), qui garantissent la protection des journalistes et de leurs sources.
Le Cameroun occupe la 126e place sur 180 au Classement mondial 2016 de la liberté de la presse établi par RSF.