Bangladesh : RSF dénonce la plainte honteuse visant au moins 25 journalistes pour crime contre l'humanité
Pas moins de 25 journalistes ont été accusés de crime contre l’humanité pour la mort d'un manifestant durant la répression de la révolte de juillet. Déjà inculpés pour le meurtre d’autres manifestants, Farzana Rupa et Shakil Ahmed sont visés dans cette affaire. Seul ce couple, récemment licencié de la chaîne privée Ekattor TV, est pour l’heure derrière les barreaux. Reporters sans frontières (RSF) demande leur libération immédiate et l'abandon de ces poursuites infondées : ce harcèlement judiciaire systématique des journalistes doit cesser.
La plainte déposée le 29 août pour crime contre l’humanité marque un palier supplémentaire dans la série de poursuites judiciaires ciblant des professionnels des médias ces dix derniers jours. Cette fois-ci, au moins 25 journalistes sont visés dans une affaire instruite par le Tribunal international des crimes, une cour spéciale créée en 1973 pour juger des exactions commises pendant la guerre d’indépendance du Bangladesh. Aux côtés de l’ex-Première ministre Sheikh Hasina, le couple de journalistes récemment licencié de la chaîne jugée favorable à l’ancien gouvernement Ekattor TV, Farzana Rupa et Shakil Ahmed, figurent parmi les professionnels des médias cités dans ce dossier. À ce jour, ils sont les seuls en détention. D’après les informations de RSF, la plupart des professionnels visés par cette plainte ont quitté leur domicile, par crainte d’une arrestation.
“La purge des journalistes perçus comme affiliés à l’ancien gouvernement franchit un nouveau palier. Les professionnels des médias font les frais du besoin de vengeance qui s’exprime dans cette sinistre cabale judiciaire et qui ternit l’image de la transition politique en cours au Bangladesh. Les autorités intérimaires, dirigées par le prix Nobel de la paix Muhammad Yunus, doivent tout faire pour mettre un terme à cette machine infernale. Farzana Rupa et Shakil Ahmed doivent être libérés sur le champ. Toutes les poursuites engagées contre des journalistes doivent être abandonnées.
Rédacteurs en chef, éditorialistes et présentatrices
- Abed Khan, ancien rédacteur en chef du journal Dainik Samakal
- Ahmed Zobair, PDG et directeur de la chaîne privée d’information en continu Somoy TV
- Ajoy Dasgupta, ancien rédacteur en chef adjoint du journal Dainik Samakal
- Ashish Saikat, directeur de l’information de la chaîne d’information privée Independent Television
- Farida Yasmin, présidente du Jatiya Press Club, le syndicat national des journalistes
- Farzana Rupa, présentatrice, Ekattor TV
- Iqbal Sobhan Chowdhury, fondateur et rédacteur en chef du Daily Observer
- Joy E Mamun, ancien directeur de l’information de la chaîne privée ATN Bangla (Asian Television Network)
- Manash Ghosh, directeur de l’information de la chaîne privée Asian TV
- Mohammed Manzurul Islam, rédacteur en chef, DBC News (Dhaka Bangla Media & Communication)
- Mozammel Babu, directeur de la rédaction d’Ekattor TV
- Munni Saha, ancienne directrice de l’information de la chaîne ATN News
- Nobonita Chowdhury, présentatrice, directrice de programme au sein de l’ONG bangladaise BRAC
- Naem Nizam, rédacteur en chef du quotidien Bangladesh Pratidin
- Pranab Saha, rédacteur en chef, DBC News
- Probash Amin, ancien directeur de l’information de la chaîne d’information privée ATN News
- Saiful Alam, rédacteur en chef du journal Dainik Jugantor
- Shakil Ahmed, directeur de l’information, Ekattor TV
- Shyamal Dutta, rédacteur en chef du quotidien Bhorer Kagoj
- Shyamal Sarkar, journaliste au quotidien Ittefaq
- Soma Islam, présentatrice, Channel i, présidente de l’organisation Reporters' Forum for Election and Democracy (RFED)
- Subhash Singha Roy, journaliste et analyste politique
- Swadesh Roy, journaliste pour le journal Dainik Janakantha
- Tushar Abdullah, directeur de l’information de la chaîne financière Ekhon TV
- Zayadul Ahsan Pintu, journaliste, DBC News
Quatre investigations en cours contre des journalistes
En marge de cette vaste plainte pour crime contre l’humanité, trois autres journalistes ont été, le 28 août, cités dans une affaire concernant le meurtre d'un manifestant, toujours aux côtés de l’ancienne cheffe du gouvernement. Pour l’heure, la police n’a toutefois pas émis de mandat d’arrêt.
Basés à Bogra, dans le nord-ouest du pays, Mahmudul Alam Noyon, correspondant du journal Dainik Janakantha et vice-président du Syndicat fédéral des journalistes bangladais (Bangladesh Federal Union of Journalists, BFUJ), Hasibur Rahman Bilu, directeur de l’agence locale de la chaîne d’information Independent Television, et J. M. Rauf, correspondant du journal Dainik Kaler Kantho et président du syndicat local des journalistes, sont accusés d’avoir joué un rôle dans la mort d’un manifestant nommé Mohammad Shimul.
Ces accusations de meurtre visant des journalistes s'ajoutent aux trois affaires déjà en cours contre des professionnels des médias, visant notamment le couple Farzana Rupa et Shakil Ahmed, ainsi que quatre autres journalistes.
Signe que le ciblage actuel des professionnels des médias prolonge celui qu’ils connaissaient sous le règne de Sheikh Hasina, le correspondant J. M. Rauf, cité dans l’une de ces affaires de meurtres, avait été, en février 2023, agressé physiquement par des partisans de la Ligue Awami, la formation de l’ancienne cheffe du gouvernement. Au cours de ses derniers mois au pouvoir, le Bangladesh campait à la 165e place sur 180 pays dans le Classement mondial de la liberté de la presse établi par RSF.